vendredi, mars 29, 2024
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Coup d’Etat au SOUDAN. «Depuis 2019, les militaires attendaient que les civils perdent leur légitimité»

Avec ce nouveau coup d’Etat au Soudan, la transition démocratique amorcée en 2019 après trente années de dictature semble plus menacée que jamais. Pour Marc Lavergne, directeur de recherches émérite au CNRS, la faiblesse de la démocratie soudanaise s’explique par le manque de cohésion au sein de la société civile et par les forts soutiens à l’armée de l’Egypte et des Etats arabes du Golfe.

Dans quel contexte politique intervient ce coup d’Etat ?

Le Soudan traverse une crise qui ne fait que s’aggraver au fil des mois. Depuis la chute d’Omar el-Béchir en avril 2019, le gouvernement, en coordination avec le Conseil de souveraineté militaro-civil chargé de piloter la transition, a eu pour objectif d’assainir les finances du pays en tentant d’alléger le poids de sa dette auprès des institutions internationales et d’obtenir la levée des sanctions. Malheureusement, ces efforts ne se sont pas traduits dans le quotidien des Soudanais, confrontés à une inflation terrible sur les produits de première nécessité et à la chute de la monnaie, en dépit des remises de dettes accordées par la France et l’Union européenne. Malgré leur bonne volonté et leurs compétences professionnelles, les civils ont perdu leur légitimité aux yeux des Soudanais, et c’est ce que les militaires attendaient depuis le début. L’armée n’a jamais eu l’intention d’aboutir à un gouvernement civil et démocratique. L’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, ses proches soutiens, non plus.

Qui sont les militaires responsables du putsch ?

Il s’agit de la haute hiérarchie militaire du général Abdel Fattah al-Burhane [ancien chef d’état-major des armées et actuel président du Conseil de souveraineté, ndlr] avec la complicité des controversées Forces de soutien rapide (RSF) dirigées par Mohamed Hamdan Daglo, dit «Hemedti» [numéro 2 du Conseil de souveraineté, ndlr]. Il existe des dissensions entre les forces armées régulières et les mercenaires des RSF, qui se soutiennent tout en étant concurrents.

L’armée a-t-elle manipulé la révolution de 2019 pour reprendre, à terme, le contrôle du pays ?

La révolution qui a fait tomber Omar el-Béchir est venue des militaires, comme en Egypte où l’armée a chassé Hosni Moubarak pour éviter qu’il soit reconduit pour un second mandat ou qu’il cède le pouvoir à son fils. Au Soudan, les militaires ont préféré se débarrasser d’Omar el-Béchir, sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale et devenu peu fréquentable, avant l’élection présidentielle qui aurait dû avoir lieu en avril 2020. Pour faire bonne figure, ils ont installé au pouvoir des civils qui semblaient appréciés par la rue. Mais au fond, ils attendaient que le régime soit déconsidéré pour pouvoir reprendre les rênes du pays. L’armée savait qu’elle représentait l’ancien régime et la dictature et qu’il fallait que les Soudanais soient assez désespérés pour accepter à nouveau un régime militaire.

La grande manifestation pro-civils a tout de même réuni des centaines de milliers de Soudanais, jeudi, pour faire face à la mobilisation des pro-armée…

La tentative de putsch du 21 septembre dernier, sorte de galop d’essai pour voir comment la rue réagirait, présageait à la fois une mobilisation de Soudanais qui soutiennent les militaires et ceux qui continuent malgré tout de croire en un gouvernement civil, ayant la hantise de voir revenir les militaires et un régime islamiste au pouvoir. Mais la plupart des Soudanais sont déçus de la transition et de l’incapacité des civils à s’entendre entre eux et améliorer leurs conditions de vie. Le gouvernement n’a pas non plus réussi à obtenir la paix dans les monts Nuba et dans les régions périphériques, où des massacres et des conflits ont toujours lieu. Il s’agit plutôt d’une désaffection vis-à-vis des civils plutôt qu’un amour porté aux militaires.

Comment expliquer la faiblesse de la démocratie soudanaise ?

Il existe une forte expérience politique dans ce pays, avec des partis politiques importants et nombreux, des syndicats, des débats idéologiques… Malgré cela, c’est la troisième fois qu’il y a un basculement des civils vers les militaires. A cause des problèmes internes au sein de la société civile, il est difficile de mettre sur pied une union efficace pour s’adapter aux vrais problèmes du Soudan, à savoir la séparation de la religion et de l’Etat et l’égalité entre la population du centre et de la périphérie. D’autant que ces derniers temps, une partie des civils au pouvoir ont trahi leur camp. Malgré les apparences, le ministre des Finances Minni Minnawi et le gouverneur général du Darfour Gibril Ibrahim [à l’initiative des manifestations pro-armée ces derniers jours, ndlr] ont toujours été du côté de l’armée.

Quel est le rôle de l’Egypte, des Emirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans ce coup d’Etat ?

Ces trois Etats soutiennent la haute hiérarchie militaire, s’opposant farouchement au succès de la démocratie soudanaise. L’Egypte n’accepte pas que ce pays devienne plus indépendant et considère qu’un régime militaire est ce qu’il y a de mieux pour cela. Quant aux Saoudiens et Emiriens, ils veulent faire du Soudan un pays dans lequel il est possible d’investir, notamment dans l’agriculture et l’exploitation des minerais afin de passer le cap de l’«après-pétrole». Ils estiment que les militaires au pouvoir seront à leur merci si l’argent coule à flots à Khartoum. La Turquie et la Russie ont aussi été des soutiens qui vont resurgir. On assiste à un basculement anti-occidental au Soudan, pièce maîtresse sur l’échiquier africain, notamment depuis la reconnaissance d’Israël par Khartoum à la demande de l’ancien président américain Donald Trump. (Libération)

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