Monsef Benkirane, virologiste, explique à franceinfo pourquoi cette découverte quasi inédite peut aider à élaborer un vaccin et ce que l’on sait des mécanismes qui peuvent être à l’origine de ce cas très particulier.
Une des clés vers un remède contre le VIH viendra-t-elle de la bien-nommée Esperanza ? Une jeune femme originaire d’Argentine, testée séropositive en 2013, a guéri du virus sans traitement, affirment des chercheurs de l’université de Buenos Aires, de Harvard et de MIT (Etats-Unis) dans une étude publiée mardi 16 novembre par la revue Annals of Internal Medecine (en anglais). Ils expliquent que cette patiente anonyme ne porte plus aucune trace du VIH dans son organisme. Elle n’a reçu un traitement antirétroviral que quelques mois en 2017, pendant une grossesse.
Jusqu’ici, un seul cas de guérison naturelle avait été rapporté, celui d’une femme de 67 ans à San Francisco en 2020. Les auteurs de cette nouvelle étude espèrent que le système immunitaire de leur patiente aidera à mieux comprendre comment lutter contre le virus responsable du sida, que l’on sait aujourd’hui contenir, mais pas faire disparaître. Pour comprendre la portée de cette découverte, franceinfo a interrogé Monsef Benkirane, directeur du laboratoire de virologie moléculaire de l’Institut de génétique humaine de l’université de Montpellier, qui participe à la recherche de nouveaux traitements contre le VIH.
Franceinfo : Etes-vous convaincu par cette étude ? Prouve-t-elle vraiment la guérison de cette patiente ?
Monsef Benkirane : L’étude est extrêmement sérieuse. L’ensemble des équipes impliquées sont des équipes phares dans ce domaine. Elles venaient de publier un article dans la revue Nature sur ce qu’on appelle les « elite controllers », ces patients qui contrôlent le virus [sans être guéris] de façon spontanée sans aucun traitement. On les connaît, on sait qu’ils représentent environ 0,5% de la population.
Les chercheurs ont voulu étudier la quantité de virus du VIH dans l’organisme de ces patients. C’est comme ça qu’ils ont remarqué cette femme chez qui, en recherchant la présence du virus dans 1,1 millard de cellules, ils ne sont pas arrivés à le détecter. Chez les patients qui contrôlent l’infection, on trouve quand même du virus. Chez elle, absolument rien. Ils lui ont alors prélevé 150 millions de lymphocytes TD4 (le type de globules blancs infectés par le VIH), ont essayé d’en faire sortir le virus in vitro, ce qui est habituellement très facile, et ils n’y sont pas arrivés. L’analyse qu’ils ont faite sur cette patiente est tout simplement impressionnante.
Cette femme n’était pas sous traitement, mais avait tout de même fait quelques mois de trithérapie en 2017 pendant sa grossesse. Est-ce que ça ne peut pas expliquer sa guérison ? Comment être certain que celle-ci est bien spontanée ?
A partir du moment où cette femme a reçu un traitement, on ne peut pas dire le contraire, la science oblige à le prendre en compte. Mais même chez des patients sous trithérapie depuis trente ou quarante ans, si vous arrêtez le traitement, vous constaterez un rebond en quelques semaines. Je ne pense vraiment pas que la trithérapie qu’elle a reçue ait contribué à cette guérison.
Sait-on comment cette guérison spontanée pourrait s’expliquer ?
Chez les « elite controllers », ces patients qui parviennent spontanément à contrôler l’infection, on sait qu’on constate une réponse immunitaire très forte des lymphocytes T CD8 [un autre type de globules blancs], qu’on ne voit pas chez les autres patients. Environ 50% d’entre eux sont porteurs d’un gène qui favorise également leur réponse immunitaire.
Est-ce que, dans certaines conditions, cela permet d’éliminer toute trace de virus capable de se reproduire ? On peut l’imaginer. Peut-être que dès qu’une cellule contenant du virus compétent pour la réplication se met à en produire, même un tout petit peu, elle va être tuée. Ce que l’on peut aussi penser, c’est que chez cette patiente, les cellules réservoir du virus ont une durée de vie assez courte.
Je suis en tout cas persuadé que si on arrivait à faire un travail de cette ampleur chez tous les « elite controllers », on trouverait d’autres cas de guérison spontanée. Ils resteraient rares, mais permettraient de construire une cohorte de patients qu’on pourrait suivre pour comprendre ce qui s’est passé.
En quoi l’étude de ces cas très particuliers peut-elle aider la recherche contre le VIH ?
Il va falloir arriver à comprendre cette guérison, mais elle donne des pistes et de l’espoir. On sait que le contact avec le VIH n’entraîne pas de protection. On peut se réinfecter, se surinfecter… Pour trouver un vaccin contre ce virus, il faut donc parvenir à apprendre au système immunitaire à faire ce qu’il ne sait pas faire naturellement quand il rencontre le VIH. Comprendre comment cela s’est passé chez cette patiente aura forcément un impact sur les stratégies à suivre pour concevoir un vaccin. Sans oublier que les avancées de la recherche contre le VIH permettent d’acquérir des connaissances qui serviront contre d’autres virus : sans elles, nous n’aurions pas eu aussi vite un vaccin contre le Sars-CoV-2. (FranceInfo)