Dans la majorité des États africains, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 80 % de la population préfère avoir recours à la médecine traditionnelle pour ses besoins sanitaires. Au Ghana, cette estimation serait de l’ordre de 70 %. Cette confiance en la médecine traditionnelle ne date pas d’aujourd’hui. En effet, son recours remonterait à des siècles et sa pérennité se ferait grâce à un passage de témoin chez les tradipraticiens. Alors qu’au niveau de la médecine moderne, les médecins suivent en moyenne sept années de formation pratique et théorique pour maîtriser cette science humaine, leurs confrères de la médecine traditionnelle n’ont pour seul bagage intellectuel que la transmission de la connaissance de génération en génération. « J’ai appris cette science de mon père et c’est une affaire de famille chez nous. Selon l’histoire, c’est ce que pratiquait notre ancêtre qui était un grand chasseur et guérisseur de notre tribu. Donc, j’ai appris beaucoup de recettes de plantes médicinales chez mon père », affirme David Attafuah, un tradipraticien rencontré dans son officine d’une banlieue de la capitale ghanéenne.
Cet engouement suscité par la médecine traditionnelle provient aussi de la volonté manifeste du pays à se conformer aux décisions prises lors du sommet de l’Organisation de l’unité africaine ? ancêtre de l’Union africaine ? de décréter la décennie 2001-2010 « décennie de la médecine traditionnelle africaine ». Aujourd’hui, certaines circonstances ont amené les autorités à considérer la médecine traditionnelle comme un sous-secteur de référence en matière de la santé publique. En effet, le système de santé publique des pays fait face au faible nombre de services préventifs et curatifs et une forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour l’approvisionnement en médicaments dits essentiels. Pis, le recours à la médecine traditionnelle est dû au manque de personnel de santé.
La pandémie de Covid-19, un tournant ?
Le Ghana a été touché de plein fouet par l’actuelle crise sanitaire. Face aux conséquences néfastes de la pandémie du coronavirus, les autorités ont entièrement intégré l’apport de la médecine traditionnelle à leur campagne. Cette confiance renouvelée à la médecine traditionnelle a permis à ses acteurs de fabriquer plusieurs remèdes permettante de renforcer le système immunitaire. Ceci, dans le but de contribuer à leur manière à la lutte contre cette pandémie mondiale.
« Suite aux recherches attestant que les personnes dotées d’un puissant système immunitaire peuvent résister contre ce virus, je me suis remis au boulot à travers mes recherches et j’ai pu trouver ce remède dénommé ?Thorntina-74 Immune booster? », confie Yaw Owusu Gyapong, directeur général de Diasgnotic Herbal Clinic, la structure dont le remède a été homologué par les autorités seulement en septembre dernier. Pour les gouvernants, il ne fait aucun doute que l’apport de la médecine traditionnelle sera capital tant que la crise va perdurer. « Nous avons remarqué une hausse de la fréquentation de notre centre de recherche sur les plantes médicinales depuis l’avènement de la pandémie au Ghana. Les patients qui nous consultent pour certains remèdes made in Ghana sont passés de 80 à 140 par jour », note le Dr Kofi Bobi Barimah, directeur général du centre pour la recherche scientifique des plantes médicinales (Centre for scientific research into plant medecine).
Selon les données de l’OMS, 80 % de la population africaine a recours à la médecine traditionnelle pour répondre à ses besoins en matière de soins. © DRUn tour à Akwaba natural clinic, une structure spécialisée dans la médecine traditionnelle située à Denu dans la région du Volta, à l’ouest du Ghana, illustre l’engouement pour la médecine traditionnelle depuis l’avènement de la crise sanitaire. Assise sur un banc dans une salle d’attente, Nana Ama, une quadragénaire, vient de se faire consulter par un jeune agent tradipraticien et attend de se faire prescrire des remèdes pouvant permettre de booster son système immunitaire. Elle admet avoir recours aux services de cette structure depuis l’avènement de la pandémie. « Je pense que les vertus de nos plantes médicinales pourront renforcer mon corps face à l’augmentation de cas positifs de Covid-19 dans le pays. C’est la deuxième fois que je viens dans ce centre après un premier traitement avec leurs remèdes faits maison. Je préfère faire confiance aux remèdes issus, pour certains, des plantes que je connais déjà au lieu de croire à des miracles venus d’ailleurs. »
Un secteur bien régulé avec certification des produits
Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’essor de la médecine traditionnelle s’illustre aussi par la mise en place, dans plusieurs pays sur le continent, des organes en charge de l’évaluation qualité et sûreté des produits qu’offre la pharmacopée traditionnelle depuis deux décennies. De dix-huit organes de recherche dédiés à la médecine traditionnelle en 2000, le continent en compterait trente-quatre en 2018. Le Ghana serait un pionnier dans les recherches scientifiques dans ce domaine. Cette confiance accrue à la médecine traditionnelle a été entretenue par les gouvernements successifs depuis 1975 avec la mise la mise en place du Centre pour la recherche scientifique des plantes médicinales (Centre for scientific research into plant medecine). Cette structure qui collabore avec les tradipraticiens a permis de mettre au point des remèdes certifiés pour le bonheur des Ghanéens. La reconnaissance des produits de la pharmacopée traditionnelle suit un circuit bien élaboré avant leur mise sur le marché.
En effet, ces remèdes « made in Ghana » doivent tout d’abord avoir l’aval de l’Agence d’inspection des produits alimentaires et médicaments « Ghana Food and Drug Agency ». Aujourd’hui, des centaines de produits de la pharmacopée traditionnelle issus de cette collaboration sont offerts aux patients dans les officines sur toute l’étendue du territoire. « On assiste à une augmentation de la demande pour les produits issus de la pharmacopée traditionnelle à cause de leur efficacité. Ce n’est pas seulement l’aspect pécuniaire, mais nous croyons que ce sont la demande pour ces produits et leur efficacité qui nous ont amenés dans ce domaine de la fabrication des médicaments à partir de nos plantes », affirme Ernest Bediako Sampong, directeur général d’Ernest Chemist Limited, dont la structure vient de mettre sur le marché local un médicament dénommé « Honeykof Herbal Cough Syrop » fait à base d’extraits de plantes et d’abeille (miel, enzymes salivaires, piment, basilic et violette) traitant les maladies respiratoires.
Pour mieux défendre leur intérêt, les tradipraticiens se sont réunis, en 1999, au sein de la Fédération ghanéenne des associations de tradipraticiens (GHAFTRAM) communément appelée « the Federation ». Désormais, les tradipraticiens ghanéens sont associés à certaines décisions concernant la politique de santé publique. Aujourd’hui, cette fédération compte environ quarante mille membres qui offrent divers services de soins aux patients. Mieux, elle ambitionne de collaborer avec les autorités dans la mise en ?uvre de l’assurance maladie universelle. « Le ministère de la Santé a accrédité les tradipraticiens comme des agents de santé pouvant participer au programme national d’assurance maladie, mais les produits de la pharmacopée traditionnelle ne demeurent toujours pas sur la liste des produits de soins admis pour ce programme. Nous en appelons au ministère de veiller à ce que cela se fasse afin d’améliorer les services de soins de santé dans le pays », relève Nana Kwadwo Obiri, secrétaire général de la Fédération ghanéenne des associations de tradipraticiens. Et d’ajouter : « nous avons besoin davantage d’attention, car nous mettons au point 70 % des médicaments ou remèdes utilisés au Ghana ».
L’assosication des tradipraticiens effectue régulièrement des tournées de sensibilisation. © DRPour assurer une disponibilité des intrants entrant dans la fabrication des remèdes à base de plantes médicinales, les autorités ont lancé un ambitieux programme visant à doter toutes les régions du pays de jardins botaniques. Par ailleurs, une campagne de reboisement est en cours dans les établissements scolaires du pays afin d’amener la nouvelle génération à reconnaître les vertus des plantes médicinales.
Intégrer le sous-secteur au système de santé pour une complémentarité
Le pays envisage de faire de ce sous-secteur de la santé un acteur important dans la vision de la couverture santé universelle pour tous. Pour y parvenir, il faudra créer une synergie d’actions de tous les acteurs afin de faciliter une complémentarité entre les deux médecines. D’ores et déjà, les autorités veulent intégrer des curricula dédiés à la médecine traditionnelle dans les grandes universités du pays. (Le Point)