lundi, mai 13, 2024
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Au CAMEROUN, on apprend le chinois « par goût » et pour « booster sa carrière »

Depuis dix ans, le système scolaire a largement pris le relais de l’Institut Confucius pour l’enseignement du mandarin, qui séduit de plus en plus de jeunes.

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« Ni hao ! », lance Etienne Songa aux cinq étudiants présents mercredi 24 novembre au cours de conversation en mandarin. « Ni hao », lui répondent-ils en ouvrant leur cahier. Malgré l’absentéisme qui ampute l’effectif de dix-sept étudiants, l’ambiance est studieuse. « Ici, les élèves sont des travailleurs, explique M. Songa. Ils composent avec leur charge de travail mais sont très motivés. »

Ce jour-là, dans l’un des petits boukarou (pavillon) de l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC), situé sur les hauteurs de la capitale camerounaise Yaoundé au milieu des pins, des hibiscus et des ravilas, on débrouille les subtilités du présent continu : « Wo zaï shankè ne », « Je suis en train de faire cours », plaisante le professeur, qui est aussi coordonnateur des activités de langue et de culture chinoise de l’Institut Confucius local.L’opération séduction des Instituts Confucius en Afrique

La majorité des adultes qui suivent ce programme spécialement conçu pour eux travaillent dans les ministères ou la fonction publique comme employés, cadres ou ingénieurs et voient leur formation entièrement prise en charge. En maîtrisant le mandarin, ils espèrent trouver un meilleur poste, intégrer l’une des 172 entreprises chinoises présentes au Cameroun (selon les données de l’Institut national de la statistique datées de 2018) ou carrément s’expatrier.

« La Chine me fait rêver »

« La Chine me fait rêver. J’aime sa culture, ses films. Elle défend la richesse de ses traditions. C’est un pays parti de rien qui a réussi à se développer tout seul », explique Larissa Bilounga, 27 ans, venue en uniforme de gendarme. La jeune femme aimerait devenir traductrice dans la coopération sino-camerounaise. « Si je bosse bien mon mandarin, ajoute-t-elle, je pourrai demander une bourse. M’installer en Chine avec mon mari et mes deux enfants ne me fait pas peur ! »

A ses côtés, Ernest Nyambot, 28 ans, employé au secrétariat d’Etat à la défense, voit dans l’apprentissage du chinois une possibilité de « booster sa carrière ». Marie-Théophile Sanama, elle, vise plus loin que ses responsabilités au sein des affaires générales de l’IRIC et voudrait faire « du business avec les Chinois » pour s’assurer une retraite confortable. « C’est une semaine passée à Shanghaï pour un séminaire sur l’éducation qui m’a décidée, se souvient la quinquagénaire au boubou bariolé, qui finance elle-même sa formation. Il faut compter 100 000 francs CFA (152,44 euros) par trimestre, une somme bien supérieure au revenu mensuel moyen (73 188 francs CFA).Le « soft power » chinois cajole l’Afrique

Depuis la création de l’Institut Confucius de Yaoundé en 2007 − deuxième du continent après celui du Kenya en 2005 −, le mandarin a le vent en poupe. En 2015, son directeur, Yu Guoyang, évaluait à plus de 30 000 le nombre d’étudiants formés depuis son ouverture et celles des annexes de Douala et de Maroua, précisant que, « le nombre d’inscriptions augmentait de mille élèves par an ». Des chiffres qui se sont érodés au fil de la crise du Covid et la fermeture provisoire des classes. Les professeurs chinois n’ont pas encore eu le feu vert de Pékin pour revenir au Cameroun et continuent d’enseigner via WhatsApp.

« Même si les cours à distance en ont découragé certains, ce n’est que conjoncturel, assure Didier Nama, docteur ès mandarin et linguistique appliquée, diplômé de l’Université des langues et des cultures de Pékin, aujourd’hui enseignant à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Maroua. La tendance des inscriptions est franchement à la hausse. Mais aujourd’hui, ce n’est plus l’Institut Confucius qui porte l’essentiel de l’enseignement du mandarin, c’est tout le système d’éducation. »

Depuis 2012, la langue chinoise figure en effet aux programmes dès la primaire et pas moins de 260 enseignants camerounais sinophones ont été formés par l’ENS de Maroua et par la faculté, auxquels s’ajoute une quarantaine de certifiés en Chine et huit docteurs. « Tous cycles confondus, on a largement dépassé les 100 000 apprenants ces dix dernières années, évalue Didier Nama, qui intervient également à l’Institut Confucius et participe à l’élaboration des programmes officiels. En mai 2020, le ministère des enseignements secondaires recensait 15 123 jeunes ayant choisi l’option dans 155 lycées et collèges publics et privés sur les 2 360 que compte le pays.

« Plus de chances… là-bas »

Dans la classe d’Etienne Songa, une poignée d’élèves sont également issus du secteur privé. Parmi eux, Relindis Che Lum, 35 ans, anglophone native de Bamenda, conduit des engins de chantier pour l’entreprise chinoise SinoHydro, qui construit en ce moment les 65 kilomètres de route reliant Yaoundé à Bafoussam (région Ouest). « J’ai été encouragée par mon chef de section, explique la jeune femme en jonglant avec le français, l’anglais et le mandarin. Je bosse depuis huit ans chez eux et ça se passe bien. Mais depuis que j’apprends la langue, le regard des Chinois sur moi a changé. Mes conditions de travail se sont améliorées, je suis davantage dans les bureaux. J’aimerais devenir interprète et faire un jour de l’import-export de produits de beauté et de prêt-à-porter. »

Premier partenaire économique du Cameroun, la Chine réalise dans le pays, comme ailleurs en Afrique, de nombreux travaux d’infrastructures. Mais derrière le partenariat « gagnant-gagnant » vanté par Pékin et Yaoundé, les grèves d’ouvriers mal payés, voire exploités, sur les chantiers émaillent la chronique syndicale : ainsi de la construction du barrage de Lom Pangar (région Est) par la China International Water and Electric Corp ; celle de l’autoroute Douala-Yaoundé par la Chine First Highway Engineering Company ou de l’autoroute Kribi-Edéa par la China Harbour Engeneering Company, en cours d’achèvement.

Si les espoirs de ses élèves s’expriment tout haut, le professeur Songa tempère en aparté : « Oui, la Chine fait rêver les étudiants, mais le choix du mandarin est d’abord pragmatique. La plupart veulent partir et ne pas revenir. Revenir pour quoi ? Il n’y a pas de boulot ici et tout le monde ne pourra pas devenir interprète. La Chine, elle, offre de former des ingénieurs, des techniciens dans le secteur médical, industriel, agronomique, qui auront beaucoup plus de chances de trouver un travail là-bas. A part dans l’administration et la fonction publique où les formations peuvent être utiles, le reste est gâché pour le pays. » (lemonde.fr)

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