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TUNISIE. Le coup de force contre l’appareil judiciaire de Kaïs Saïed ne passe pas

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Tout un symbole : c’est dans la nuit du 5 au 6 février, anniversaire de l’assassinat du militant Chokri Belaïd en 2013, que le président Kaïs Saïed a annoncé, depuis le ministère de l’Intérieur, la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), une instance indépendante créée en 2016 pour nommer les juges. Le chef de l’État tunisien critique une partie des juges, qu’il accuse de corruption, et estime que le CSM a notamment ralenti des enquêtes sur les assassinats en 2013 de deux militants de gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Il accuse aussi le CSM d’être manipulé par le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, qu’il s’emploie à marginaliser depuis son coup de force de juillet.

L’inquiétude des partenaires de la Tunisie

Bien qu’il se défende de toute volonté de s’immiscer dans le fonctionnement de la justice, sa décision de dissoudre le CSM lui a valu une salve de critiques en raison des doutes qu’elle fait peser sur l’indépendance de la justice. Les ambassadeurs des pays membres du G7 et de l’Union européenne (UE) en Tunisie se sont ainsi dits, mardi dans un communiqué conjoint, « profondément préoccupés » par cette mesure. « Une justice transparente, indépendante et efficace ainsi que le respect du principe de séparation des pouvoirs sont essentiels au bon fonctionnement d’une démocratie au service du peuple, fondée sur le respect de l’État de droit et des droits et libertés fondamentaux », ont ajouté les chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des États-Unis, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la délégation de l’UE.

Leur communiqué a été publié quelques heures après des critiques similaires de la diplomatie américaine, pourtant souvent encline à donner au président Saïed le bénéfice du doute depuis qu’il a accaparé les pouvoirs. « Une justice indépendante est un élément crucial d’une démocratie efficace et transparente. Il est essentiel que le gouvernement de Tunisie tienne ses engagements à respecter l’indépendance de la justice conformément à la Constitution », a déclaré le porte-parole du département d’État, Ned Price. À Genève, la haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Michelle Bachelet a également déploré la dissolution du CSM, estimant que « c’est un grand pas dans la mauvaise direction ». « La dissolution du Conseil supérieur de la magistrature est clairement en violation des obligations de la Tunisie au regard du droit humanitaire international », a-t-elle ajouté dans un communiqué.

Pour l’ONG Amnesty International, la dissolution du CSM « est une grave menace à l’indépendance de la justice et aux procès équitables dans le pays ». « Depuis juillet, le président Saïed a démantelé pratiquement tous les organes de contrôle de son pouvoir. Le CSM était le dernier bastion d’impartialité judiciaire », souligne Amnesty dans un communiqué.

Le pays en émoi

Après le président du CSM, Youssef Bouzakher, qui a qualifié d’« illégale » la décision du président Saïed, l’Association des magistrats tunisiens a haussé le ton, mardi, en dénonçant la dissolution du CSM comme « une violation flagrante de la séparation des pouvoirs dans un régime démocratique ». Pour protester contre cette mesure, l’Association a annoncé une grève des magistrats « dans tous les tribunaux du pays mercredi et jeudi », ainsi qu’un rassemblement, jeudi, devant le siège du CSM, auquel la police tunisienne a bloqué l’accès.

Du côté des acteurs politiques, Ennahdha a condamné la décision du chef de l’État et l’a accusé, dans un communiqué, de « chercher à mettre la main sur l’appareil judiciaire pour s’en servir afin d’éliminer ses adversaires politiques ».

« Je n’ai aucune intention de prendre les rênes de tous les pouvoirs »

« Je voudrais rassurer tout le monde en Tunisie et à l’étranger que je ne m’ingérerai pas dans le travail de la justice et que j’ai recouru à cette dissolution seulement parce qu’elle était devenue nécessaire », se défend encore Kaïs Saïed, lundi soir, en réponse aux critiques. « Je n’interviendrai dans aucune affaire ou nomination. [?]. Je n’ai aucune intention de prendre les rênes de tous les pouvoirs », a-t-il ajouté, affirmant que le CSM avait été instrumentalisé par certains « à des fins personnelles ou politiques ». « Tout mon souci porte sur la conception d’une Constitution qui coule directement de la volonté des Tunisiens, et non celle faite sur mesure », a dit le président Saïed. D’après lui, d’autres défis sont, actuellement, d’une priorité absolue, notamment l’émergence de phénomènes comme le manque d’approvisionnement en certains produits de première consommation, outre la hausse du trafic de drogue et des défaillances dans les circuits de distribution à l’échelle nationale. En dépit de ces promesses, les critiques du dirigeant tunisien voient dans sa décision une nouvelle dérive. Celle-ci alimente les craintes d’un retour vers un pouvoir autoritaire dans le pays, qui a déclenché le Printemps arabe en renversant la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali en 2011. (Le Point)

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