Inflation, surendettement, pénuries énergétiques… La hausse du prix du pétrole et des carburants accentue les difficultés économiques auxquelles est confrontée l’Afrique. Pourtant, le continent n’a jamais été aussi indispensable pour étancher la soif de pétrole de la planète.
Plus de 100 dollars le baril. Voilà huit ans que le prix du pétrole brut n’était pas monté si haut. Une escalade provoquée par la guerre en Ukraine qui provoque des sanctions occidentales en cascade contre la Russie et fait craindre une baisse importante des ventes du deuxième exportateur mondial, de plus en plus coupé des marchés internationaux.
Certains traders évoquent désormais l’hypothèse d’un baril à 200 dollars cette année, si l’Union européenne décide d’un boycott de son voisin oriental et si l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) s’obstine à maintenir sa production au niveau actuel. Un prix jamais atteint, même lors de la crise financière de 2008.
Conséquences contradictoires
Les conséquences pour l’Afrique sont nombreuses et parfois contradictoires. Les économies africaines dépendent encore très largement du pétrole, pour le transport des personnes et des marchandises comme pour l’énergie, de très nombreux foyers et entreprises étant dotés de groupes électrogènes diesel. Toute hausse du prix du baril se répercute donc sur le pouvoir d’achat, la liberté de mouvement et l’accès à l’électricité.
Mais le pétrole est aussi l’une des principales rentes du continent : les ventes de cette ressource comptent pour près de la moitié du PIB de la Libye et du Congo-Brazzaville, un quart de celui de l’Angola et un cinquième du Gabon, selon la Banque mondiale.
L’Afrique subsaharienne produit plus de pétrole qu’elle n’en consomme
« La région dans son ensemble tire profit du prix élevé, puisque l’Afrique subsaharienne produit plus de pétrole qu’elle n’en consomme », résume Alan Gelder, ancien cadre d’ExxonMobil aujourd’hui spécialiste des marchés pétroliers au sein du cabinet de conseil en ressources naturelles Wood Mackenzie. « Mais il y des disparités importantes entre les pays producteurs qui y trouvent des avantages, et les pays importateurs pour qui la situation est beaucoup plus compliquée. »
Inflation à la hausse
Selon le FMI, les économies importatrices (de brut et de produits raffinés) verront leur déficit budgétaire et commercial augmenter, compromettant la relance qui s’impose après la crise sanitaire. « Ce conflit advient alors que la plupart des pays [d’Afrique subsaharienne] disposent de peu d’outils de politique publique pour lutter contre les effets du choc », prévient le Fonds. « Cela devrait renforcer les pressions socio-économiques, la vulnérabilité de la dette publique et les dommages dûs à la pandémie, qui frappaient déjà des millions de foyers et d’entreprises. »
La Banque centrale d’Afrique du Sud, premier importateur de pétrole brut du continent, a revu ses prévisions d’inflation fortement à la hausse pour 2022 : d’un taux de 3,1% avant la guerre à 5,6% aujourd’hui. Standard Bank, la première banque panafricaine, s’attend à ce que les banques centrales de 10 pays, notamment d’Afrique du Sud, de Namibie et du Botswana, augmentent leurs taux d’intérêt pour tenter d’endiguer l’inflation à venir.
Le continent est perçu comme l’alternative la plus fiable au pétrole russe
La hausse du prix du pétrole s’accompagne d’une augmentation quasi générale des prix des ressources naturelles. Cela devrait aider les pays importateurs de pétrole mais producteurs d’or, de cuivre et d’aluminium notamment, à équilibrer leur balance commerciale. La Banque centrale sud-africaine a ainsi revu à la hausse ses prévisions de croissance pour 2022, de 1,7% en janvier à 2% en mars, du fait de la hausse des prix de vente de ces exportations.
Nouveaux accords
Les principaux producteurs de pétrole, quant à eux, profitent de la hausse du prix du baril. L’Algérie est particulièrement bien placée, puisqu’elle retrouve son niveau de production d’avant la crise sanitaire. Le ministre de l’Énergie et des Mines, Mohamed Arkab, a annoncé que l’Algérie dépassera le million de barils par jour à partir du mois d’avril, soit une hausse de plus de 10% par rapport à 2020 et 2021.
« L’Afrique est perçue comme l’alternative la plus fiable au pétrole russe », selon Kennedy Chege, chercheur spécialiste de l’Opep au sein de l’Université du Cap. « Les pays producteurs auront donc très vite l’occasion de signer de nouveaux accords de vente avec l’Europe. » Des exportations destinées à l’Asie pourraient être redirigées vers l’Europe, pour un prix plus élevé et des coûts de transport plus bas.
Mais tous les pays producteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Cinq des sept membres africains de l’Opep, dont l’Angola et le Nigeria, sont bien en-deçà des objectifs de production fixées par l’organisation, pour cause d’infrastructures vétustes et d’investissements insuffisants. Ce qui réduit d’autant leur rente pétrolière.
La production de la République du Congo est très variable. Celle du Tchad, dixième plus gros gisement de pétrole du continent, aurait chuté de 35% depuis la mort du président Déby l’an dernier. Même la Libye a vu ses revenus baisser ces dernières semaines, après qu’un groupe armé ait bloqué deux champs de pétrole produisant quelque 330 000 barils par jour.
Facture de carburant
Par ailleurs, le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent, exporte principalement du brut, pour importer ensuite le pétrole raffiné. La mise en marche programmée de l’énorme raffinerie Dangote ces prochains mois devrait changer la donne, mais pour l’heure le Nigeria dépend, comme d’autres, de l’importation. L’Etat nigérian subventionne le pétrole à la pompe afin de le rendre accessible au plus grand nombre : le carburant est deux voire trois fois moins cher au Nigeria que dans le reste de l’Afrique de l’ouest. Mais cette politique ne concerne pas le diesel, pourtant essentiel à l’économie du pays, et nuit aux finances de l’État. La subvention devait coûter 7,2 milliards de dollars cette année, selon les prévisions de la société publique du pétrole en janvier. La hausse du prix du baril fera monter la facture bien plus haut.
« En théorie, nous profitons de la hausse du prix du pétrole. En réalité, ce n’est pas le cas », avance Cheta Nwanze, du think tank nigérian SBM Intelligence. « Au fond, le Nigeria subventionne le pétrole pour le reste de l’Afrique de l’ouest, puisque des fournisseurs de pays voisins s’approvisionnent illégalement chez nous. La guerre en Ukraine provoque aussi des pénuries de diesel, donc une augmentation des charges énergétiques des entreprises, qui pourrait ensuite se répercuter sur le taux de chômage et les prix des produits de consommation. »
La hausse du prix du pétrole profite à l’Égypte, qui en exporte de plus en plus. Mais ce pays, premier importateur de blé russe au monde, souffre d’une hausse de 20% des prix des aliments et d’une inflation qui frôle les 10%. Le pays a dévalué sa monnaie et entamé des négociations avec le FMI pour mettre en œuvre « un programme économique global » qui pourrait inclure de nouvelles mesures d’austérité.
Des exportations destinées à l’Asie pourraient être redirigées vers l’Europe
Le surendettement africain devrait également s’accentuer. Le Ghana, l’un des plus petits producteurs de pétrole (environ 200 000 barils/jour), a ainsi annoncé fin mars des coupes budgétaires importantes pour réduire son déficit et retarder une crise de la dette que beaucoup d’observateurs considèrent inéluctables. Une douzaine de pays africains ont une dette correspondant à plus de 77% de leur PIB – seuil jugé dangereux par la Banque mondiale.Effets à long terme
Difficile de dire quels seront les effets à long terme de cette crise pétrolière. Certaines sociétés minières soucieuses de réduire leur dépendance de plus en plus coûteuse au diesel envisagent désormais de financer des projets d’énergie renouvelable, nous confie Linda Mabhena-Olagunju, directrice générale de DLO Energy, promoteur d’installations d’énergie renouvelable, notamment en Afrique du Sud et au Nigeria.
Mais en parallèle, poursuit-elle, certaines sociétés pétrolières nigérianes qui peinaient à lever des fonds avant la guerre en Ukraine sont désormais courtisées. « Après la COP26, on a vu un nombre croissant de banques décider de ne plus investir dans de nouveaux projets pétroliers », rappelle Linda Mabhena-Olagunju. « Mais nous voilà désormais dans une situation inédite, où le monde dépend plus que jamais du pétrole africain, à cause des sanctions contre la Russie. Cela risque de changer la donne. » (Jeune Afrique)