Depuis une décennie, le Qatar a attiré des acteurs majeurs du foot en vue du Mondial 2022. Joueurs et entraîneurs se sont succédé dans les clubs pour faire évoluer le championnat national. Aujourd’hui, on s’interroge sur l’après-Mondial et la place du foot. Cette diplomatie du soft powersera-t-elle toujours utilisée ?
« Le Qatar est un pays très joli, moins joli en ce moment, car il y a beaucoup de gros chantiers et de travaux d’aménagements. C’est un pays très ouvert, un peu moins que Dubaï, mais tout de même ouvert. Il n’y a pas autant de restrictions que l’on pourrait croire », raconte à RFI le Brésilien Rafael Ramazotti, qui évolue en seconde division au Muaither SC.
La péninsule a commencé à attirer davantage de joueurs et d’entraîneurs étrangers renommés au moment où la Fifa, en décembre 2010, à la surprise générale, attribuait le Mondial 2022 à ce petit émirat du Moyen-Orient, producteur de gaz et de pétrole, peuplé d’environ 2 500 000 habitants sur une superficie de 11 500 kilomètres carrés, soit un peu plus que la Corse. Depuis, ils sont des dizaines de joueurs à avoir coché la destination de cette péninsule arabique, connue pour ses gratte-ciel futuristes, et ses contrats juteux.
Gros salaire et vie dorée
« Dans mon club, il y a un ancien joueur de Liverpool, un de l’Olympique de Marseille, un autre venu de MLS (États-Unis) et un international ghanéen, témoigne Rafael Ramazotti. Après Gibraltar, j’avais la possibilité de signer à Dubaï ou au Qatar. Le contrat était plus intéressant financièrement avec le Qatar ».
Récemment, l’international colombien James Rodriguez a tiré un trait sur sa carrière en Europe à l’âge de 30 ans. Il avait posé ses valises en septembre 2020 à Everton en Angleterre après six années au Real Madrid. Encore une fois, le Qatar s’offre une nouvelle recrue de choix pour médiatiser son championnat, méconnu du grand public international.
Doha a aussi attiré d’anciennes gloires sur les bancs des clubs qataris. Avant de diriger le FC Barcelone, l’ex-international catalan Xavi, a joué puis entraîné au Qatar. Autres Espagnols, Pep Guardiola, qui avait rejoint Al Ahli Doha de 2003 à 2005 ou encore Raul, du Real Madrid, qui avait signé chez Al Sadd en 2012.
Laurent Blanc, âgé de 56 ans, champion du monde en 1998 et champion d’Europe en 2000 avec l’équipe de France en tant que joueur, a vécu sa première expérience d’entraîneur à l’étranger au Qatar après être passé par le Paris Saint-Germain. Celui qui comptait dans ses rangs le champion du monde français Steven Nzonzi, ancien milieu de terrain du Stade Rennais, James Rodriguez ou encore l’Algérien Yacine Brahimi, a été limogé par Al Rayyan en février dernier pour manque de résultats, malgré un recrutement coûteux.
Réussir à normaliser l’image du pays
« La place du football a longtemps agité le cercle du pouvoir au Qatar. La branche plus traditionaliste ne voulait pas de la Coupe du monde au risque de s’attirer des ennuis. Aujourd’hui, si le Qatar arrive à gérer sans trop de polémiques son Mondial, les dirigeants vont réussir à normaliser l’image du pays. L’intérêt du Qatar est de continuer son soft power à travers le sport et surtout le football », explique à RFI Akram Belkaïd, journaliste au Monde diplomatique. Il faut dire que des ONG comme Human Right Watch ou encore Amnesty international critiquent fortement les Droits de l’homme au Qatar depuis que les travaux du Mondial ont débuté.
Souvenons-nous, en 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte avaient imposé un embargo économique et diplomatique au Qatar, jugé notamment trop proche de l’Iran. « Au moment de cet embargo, des voix occidentales sont venues défendre le Qatar. Cela grâce au soft power des Qatariens », précise Akram Belkaïd, indiquant que l’achat du Paris Saint-Germain reste « une belle vitrine pour le Qatar ». Il ajoute : « Dans les salons du Parc des princes, on reçoit des gens très influents. Ce n’est pas que du bling-bling. Le PSG est un bel outil de relations publiques pour le pouvoir qatarien ». À l’image de Manchester City qui appartient aux Émirats arabes unis depuis 2008. Mais qu’en est-il sur place ?
Ascenseur social pour les fils d’immigrés ?
En 2018-2019, le Français Christian Gourcuff était revenu quinze ans après avoir entraîné au Qatar. « Il n’y a personne au stade. Sauf quand c’est l’équipe nationale. Mais en championnat, c’est ridicule. Nous, on jouait devant 30 personnes. Les matches sont télévisés, les gens restent chez eux à cause de la chaleur », expliquait-il à SO FOOT. « Après la Coupe du monde, qui est une vaste opération de communication pour le Qatar, je me demande à quoi tout ça va aboutir. C’est artificiel… Je ne vois pas de perspectives », déclarait également Christian Gourcuff.
« C’est vrai qu’ici, on ne trouve pas comme au Brésil de joueurs locaux qui ont besoin du foot pour s’en sortir comme ce fut mon cas. On ne trouve pas de gens qui ont faim et qui se sauvent avec le foot. Mais le niveau du championnat est intéressant », avance Rafael Ramazotti, joint par notre collègue de la rédaction lusophone Marco Martins.
Au Qatar, beaucoup de fils d’immigrés espèrent un passeport qatarien en réussissant dans le foot. C’est une des motivations de ces jeunes joueurs qui savent qu’ils obtiendront les privilèges de la société qatarienne en étant naturalisé. Environ 80 % des habitants du Qatar sont étrangers. Les milliers de travailleurs migrants, principalement employés de maison ou sur les chantiers, sont loin de disposer des mêmes avantages que les Qatariens. Les naturalisations dans les pays arabes du Golfe sont rarissimes. Le chemin vers la citoyenneté est très long.
« La sauce n’arrive pas à prendre et la jeunesse qatarienne ne s’est pas mise à jouer au foot. La jeunesse au Qatar n’est pas sportive, ce n’est pas vraiment dans la culture. Il y a maintenant un problème de santé publique face à la sédentarité des jeunes. Mais le Qatar gardera son championnat, même si ce n’est pas un moteur pour sa jeunesse », estime Akram Belkaïd.