Accueil AFRIQUE Pelé, l’Africain qui s’ignorait

Pelé, l’Africain qui s’ignorait

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Le roi Pelé est mort à l’âge de 82 ans, le 29 décembre 2022. Bien qu’ayant entretenu un rapport étroit avec l’Afrique, le footballeur brésilien ne s’est jamais vraiment impliqué dans les combats qu’elle a menés ni dans la lutte contre les discriminations de manière générale.

Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, est né le 23 octobre 1940 à Três Corações, une ville moyenne de l’État du Minas Gerais. Cette région du Brésil a vu arriver de nombreux esclaves venus, pour la plupart, du continent africain. La grand-mère paternelle de Pelé, Dona Ambrosina, était elle-même une descendante d’esclaves. Auteur de Pelé, biographie sortie quelques jours après le décès de la légende, Stéphane Cohen affirme que le footballeur aurait des origines du côté du Nigeria ou de l’Angola actuels.

Visites agitées au Nigeria

Dans sa vie de footballeur, Pelé s’est rendu une quinzaine de fois sur la terre de ses ancêtres. Et en particulier au Nigeria, un pays traditionnellement turbulent et qui l’a montré à chacune de ses visites. Notamment en 1969, alors que le géant d’Afrique est en pleine guerre civile. Le Biafra, qui a fait sécession, est en conflit avec le pouvoir de Lagos, quand le FC Santos et Pelé viennent disputer deux matchs amicaux.

Le premier, joué à Lagos face à la sélection nationale nigériane (2-2), se déroule sans problème. Le second, à Benin City contre l’équipe locale (2-1), aurait favorisé selon la légende un cessez-le-feu de quarante-huit heures. Une version plus réaliste veut pourtant que les hostilités n’aient été interrompues que le temps du match…

Pelé quitte le Nigeria, déguisé en pilote de la compagnie aérienne nationale nigériane afin de rejoindre l’aéroport

Sept ans plus tard, en 1976, Pelé est de retour au Nigeria dans le cadre d’une campagne publicitaire sponsorisée par Pepsi-Cola. Le Roi vient de diriger un stage d’entraînement pour des footballeurs de Lagos et d’Ibadan. Mais alors qu’il est à son hôtel à Lagos, attendant son départ, une tentative de coup d’État a lieu. Le président de la République, le général Murtala Mohammed, est abattu à Lagos.

À lire Le Roi Pelé au Nigeria, entre guerre civile et coup d’État

La tentative de putsch échoue, mais les assassins de Murtala Mohammed sont en fuite. Pendant six jours, Pelé et ses accompagnateurs restent enfermés dans leur hôtel, et le triple champion du monde (1958, 1962 et 1970), quitte le Nigeria, déguisé en pilote de la compagnie aérienne nationale nigériane afin de rejoindre l’aéroport de Lagos pour des raisons de sécurité – sur les conseils avisés de l’ambassadeur du Brésil…

Pas rancunier pour autant, Pelé acceptera en 1978 l’invitation d’une marque d’électroménager pour donner le coup d’envoi d’un match amical entre le Racca Rovers et Fluminense, une équipe brésilienne. Face à l’incroyable engouement suscité par sa présence à Lagos, les organisateurs parviendront à le convaincre de jouer quarante-cinq minutes dans l’équipe de Fluminense. Sans doute pour éviter une émeute…

Ben Bella, Nasser et Mobutu

Au cours de sa longue carrière, Pelé a aussi été vu dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Congo, lors de nombreuses « tournées de bonne volonté » effectuées dans des pays ayant récemment obtenu leur indépendance.

Lors d’un séjour au Maroc, Pelé a ainsi croisé Larbi Ben Barek, un footballeur franco-marocain connu pour avoir été un des meilleurs joueurs de sa génération. Après lui avoir offert un maillot du FC Santos, Pelé aurait dit : « Si je suis le roi du football, Larbi Ben Barek en est le dieu. »

À Kinshasa, en juin 1967, le Maréchal Mobutu serre la main du joueur brésilien dans le rond central du stade Tata Raphaël. Quelques heures auparavant, il avait accordé un après-midi de congé à tous les fonctionnaires de la capitale, afin de leur permettre de venir assister au match entre les Léopards Congolais et le FC Santos.

Le comportement de Pelé est celui d’un homme noir, soumis

Dans la sélection brésilienne, Pelé a joué face à l’Algérie à Oran en 1965 (3-0) et été reçu par Ahmed Ben Bella, le chef de l’État. On l’avait vu aussi au Caire sous le maillot de la Seleçao, en 1960, lors d’une opération de propagande panarabe orchestrée par Gamal Abdel Nasser. L’histoire retiendra d’ailleurs que le Brésil remporta les trois matches face aux Pharaons (5-0, 3-1, 3-0), et que Pelé en profita, lors du second match, pour inscrire l’un de ses sept triplés avec sa sélection.

Le premier ministre noir de l’histoire du Brésil

Si l’homme aux 1 284 buts fait la quasi unanimité sur les terrains du monde entier, sa personnalité est davantage contestée. Une partie de ses compatriotes lui reprochent de ne s’être jamais vraiment impliqué dans la lutte contre les discriminations et contre le racisme, systémique au Brésil. Son ancien coéquipier en sélection nationale, Paulo César, a un jour affirmé : « Le comportement de Pelé est celui d’un homme noir, soumis. Pourtant, une seule déclaration de sa part aurait fait beaucoup de chemin. »

Le Brésil n’est pas une dictature, mais une terre de bonheur, où le peuple est libre

Rayonnant et charismatique sur les terrains, où il dégageait une forme d’autorité naturelle, Pelé était beaucoup plus docile en dehors. Pondéré, obéissant et foncièrement incapable de se dresser contre toute forme d’autorité, il avait choqué de nombreux brésiliens, en 1972, en affirmant, alors que le pays était dirigé par une junte militaire brutale et autoritaire, que « le Brésil n’est pas une dictature, mais une terre de bonheur, où le peuple est libre ».

En 1995, Pelé devint néanmoins le premier ministre noir de l’histoire du Brésil, au portefeuille des Sports, alors même qu’il avait toujours refusé de s’impliquer en politique, repoussant les propositions du gouvernement d’occuper ce poste en 1985 comme 1989. Durant les quatre années où il occupa cette fonction, il tenta de moderniser, avec une loi portant son nom, l’organisation du football brésilien, en s’attaquant à la toute-puissance des clubs sur les joueurs.

Lesquels purent désormais s’engager où ils le voulaient. Mais tout au long de son mandat, le roi se heurta à la fronde des présidents de clubs, guère disposés à abandonner une partie de leurs prérogatives. Pelé n’était plus ministre quand il fit la rencontre de Nelson Mandela, en Afrique du Sud, en 2007. Il avait alors fait de l’ancien leader de l’ANC son « héros et son compagnon dans la lutte en faveur de la cause des peuples et de la paix dans le monde ».

Pelé, de Stéphane Cohen, Éditions Solar, 384 pages, 19,90 euros. (Jeune Afrique)

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