Voilà plus de 60 ans que Juliana Lumumba est obsédée par la même question : qui est responsable de la mort de son père ? « Vous ne pouvez pas être la fille de Patrice Lumumba sans que cela ne détermine votre vie”, explique-t-elle. Figure emblématique de la libération du Congo belge, Patrice Lumumba devient le premier chef du gouvernement après la proclamation de l’indépendance du pays, le 30 juin 1960.
Son discours lors de la cérémonie restera dans les mémoires. Les images en feront le tour du monde. « Nul Congolais ne pourra oublier que l'[indépendance] a été conquise par la lutte, une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang « , déclare-t-il, avant de détailler, en présence du roi des Belges, les injustices subies par les Congolais pendant la période coloniale.
Patrice Lumumba promet alors la démocratie, la prospérité et la fin de l’exploitation des ressources naturelles du pays par des puissances étrangères. Il veut nationaliser les matières premières et il est proche de l’Union soviétique, en pleine guerre froide. Une proximité et des ambitions contraires à certains intérêts, notamment ceux de la Belgique et des Etats-Unis.
La dent de Patrice Lumumba
A peine quelques mois plus tard, en septembre, il est renversé par un coup d’Etat. Puis, le 17 janvier 1961, lui et deux de ses frères d’armes sont exécutés par des séparatistes dans la province du Katanga, avec l’appui de mercenaires belges.
Ce sont des travaux de recherche, comme ceux du sociologue belge Ludo De Witte, qui permettront de connaître davantage de détails sur les circonstances de cet assassinat. Leurs corps sont découpés et dissout dans de l’acide. L’un des officiers de police belges conservera deux dents de Patrice Lumumba comme trophée.
Juliana Lumumba apprend l’existence de ces dents à la télévision, dans un reportage de la télévision allemande, en 2000, dans lequel le policier raconte les détails et présente les dents à la caméra. « Que ressentiriez-vous si on vous disait que votre père a été assassiné, enterré, déterré et découpé en morceaux, et que des parties de son corps ont également été emportées ? », s’insurge-t-elle.
Des années plus tard, Juliana écrit une lettre au roi des Belges et exige le retour des reliques. Une seule dent sera restituée à la RDC, en 2022, lors d’une cérémonie officielle. Le Premier ministre belge de l’époque, Alexander De Croo, renouvelle les « excuses » déjà formulées par le gouvernement belge en 2002 pour sa « responsabilité morale » dans cette disparition.
Vers un procès en 2026
Ce dossier historique a enfin connu un nouveau rebondissement, le 17 juin dernier, puisque le parquet fédéral belge a dit souhaiter qu’un procès puisse enfin se tenir, peut-être en 2026, dans l’enquête pour « crimes de guerre » ouverte en Belgique. Une enquête suite à la plainte déposée par les enfants de Patrice Lumumba, en 2011, accusant diverses administrations belges d’avoir pris part à « un vaste complot en vue de l’élimination politique et physique » de leur père.
Une seule personnalité est encore en vie parmi les dix ciblées initialement dans la plainte. Il s’agit d’Etienne Davignon, aujourd’hui nonagénaire, à l’époque stagiaire diplomate aux Affaires étrangères.
