«Je vis dans un pays où quand une femme est battue on demande d’abord ce qu’elle a bien pu faire; où quand une fille est harcelée on pointe du doigt ce qu’elle portait pour plaire», se désole Taous Ait Mesghat, militante et médecin, sur les réseaux sociaux après le meurtre de Chaïma.
Le corps de la jeune femme a été retrouvé, vendredi 2 octobre, dans une station-service désaffectée de Thénia, à une quarantaine de kilomètres à l’est de la capitale, Alger. Elle a été violée, battue puis brûlée par un homme, une connaissance de son âge, qui a avoué son crime. Il avait déjà agressé Chaïma quelques années auparavant et avait fait l’objet d’une plainte. «Il voulait se marier avec elle et je ne l’ai pas accepté», affirme en pleurs la mère de la victime qui réclame désormais l’application du Qissas, loi du talion, qui relève du droit musulman. Une demande qui a trouvé beaucoup d’échos favorables chez les internautes algérien·nes.
Chaïma, 19 ans, a été enlevée, violée et brûlée vive… Son meurtre suscite une vive émotion en Algérie. Voici le témoignage poignant de sa mère.
«Dans l’opinion publique quand on parle de Qissas, ça veut dire appliquer la peine de mort. Mais ce n’est pas parce qu’au nom de la religion on peut la légitimer qu’on peut l’appliquer aujourd’hui. Les arguments qui sont favorables à l’abrogation de la peine de mort montrent plus que jamais que c’est une peine injuste», explique Belkacem Benzenine, chercheur permanent au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc).
Il s’est longuement penché sur la question dans un article publié en 2018 par la revue L’Année du Maghreb et intitulé «La panique morale au cœur du débat sur la peine de mort en Algérie». Il y évoque notamment le rôle des médias qui adoptent «une posture de juges et partie» et des politiques qui font «de l’application des condamnations à mort contre ceux qui attentent à l’intégrité physique ou à la vie des enfants et aux barons de la drogue un argument de campagne électorale».
Le chercheur précise: «Je dis que le gouvernement doit créer un débat serein. Ce n’est pas à l’opinion publique de décider de ce qu’il y a à faire devant une telle situation. Il y a une justice, des psychologues qui doivent intervenir, des juristes et des spécialistes des droits de l’Homme. L’Algérie est liée par des conventions internationales, tout ça doit être pris en compte.»
«Un désir de vengeance»
En Algérie, la peine capitale n’est pas abolie mais elle n’est plus appliquée depuis septembre 1993, date à laquelle les autorités ont imposé un moratoire sur la question. Récemment, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a demandé «l’application de peines maximales à l’encontre des personnes jugées pour les crimes d’enlèvement d’enfants». Le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, s’est aussi emparé du sujet après plusieurs kidnappings d’enfants et a déclaré à la télévision publique, le 12 octobre, qu’un nouveau projet de loi prévoit notamment la perpétuité ou la peine de mort contre les auteurs de ces crimes.
Nous avons rencontré Hassina Oussedik, directrice d’Amnesty International Algérie, en marge d’une manifestation en hommage à Chaïma et contre les violences faites aux femmes, le 8 octobre, à Alger. Pour elle, «il y a un désir de vengeance et de réparation et on pense que la peine de mort va tout régler, c’est un sentiment humain que je respecte, mais l’État ne doit pas prendre une décision parce qu’il y a un émotionnel très fort». (Slate)