Le trompe-la-mort qui a doublé les plus grands (Montand, Delon, Bronson, Moore…) a vécu dans les coulisses du cinéma en lui offrant ses plus belles cascades.
La moto fut sa grande passion, les cascades ses plus beaux frissons, et le cinéma son terrain de jeu favori. Il est mort à l’âge de 90 ans des suites du Covid-19, a-t-on appris par sa compagne Justine, jeudi 21 janvier. Le destin de Rémy Julienne est à son image, sportif, téméraire, avec l’adrénaline comme seul carburant… Champion de motocross, il entre dans le cinéma par hasard, participe à 1 400 productions, travaille avec des réalisateurs prestigieux, François Truffaut, Roman Polanski, Sergio Leone, et double les plus grandes figures du 7e art, comme Yves Montand, Alain Delon, Charles Bronson, ou encore Roger Moore…
Peut-il en être autrement quand votre destin commence sur les chapeaux de roues ? La moto entre dans sa vie dès la petite enfance : à trois ans, il est déjà à califourchon sur une cylindrée quand ses cousins l’emmènent chez sa nourrice… À 12 ans, il lorgne vite sur la moto du paternel, qui tient un bistrot sur une écluse, près de Montargis, et s’entraîne en cachette pour jouer les cadors, tout en multipliant les 400 coups et les paris stupides, comme traverser la Loire en crue à la nage pour gagner une tarte aux pommes.
Révélation
Le jeune Rémy n’est pas doué pour les études, il accumule les renvois, mais n’est pas peu fier de diriger, quelque temps, la section cinéma d’un bahut, découvrant un nouveau monde à travers des films 16 mm – une révélation. Aurait-il pu imaginer qu’il participerait un jour, à sa manière, à la magie sur pellicule ? Pour l’heure, il cherche sa voie : charcutier, puis livreur, tout en participant à des courses de motocross, où il finit par s’imposer – il décroche le titre de champion de France dès 1957.
Son destin bascule à 34 ans, quand un copain de Moto Revue lui parle du tournage de Fantômas : on recherche un motard pour doubler Jean Marais. Il y croise le cascadeur Gil Delamare qui supervise les effets spéciaux. Rémy Julienne observe, fait ses preuves et sympathise avec Delamare, qui lui confie par la suite la responsabilité de l’équipe moto sur La Grande Vadrouille – le motard allemand qui reçoit une citrouille sur la tête, c’est lui. Quand Gil meurt brutalement dans une cascade, Julienne va peu à peu s’imposer comme spécialiste sur les tournages français, en apportant une rigueur et une discipline appréciées des réalisateurs, dans un métier où régnait souvent l’anarchie.
« L’Einstein de la cascade »
Il mène alors sa carrière avec deux idées fixes : identifier les risques au maximum, pour trouver des solutions de secours, puis tenter d’effacer sa peur pour « faire le geste juste, au moment juste ». Les productions s’enchaînent avec les plus grands réalisateurs, Henri Verneuil (Le Casse, Peur sur la ville), Jacques Deray (Flic Story, Trois Hommes à abattre), Georges Lautner, qui lui fait superviser les acrobaties de son copain Belmondo (Flic ou voyou, Le Guignolo), ou encore Claude Lelouch (L’Aventure, c’est l’aventure), qui finit par le surnommer « l’Einstein de la cascade ». On le retrouve également sur la plupart des grands films comiques, embauché par Gérard Oury, Claude Zidi ou Jean Girault dans la fameuse série des Gendarmes, ainsi que sur plusieurs James Bond, mettant sa fine équipe de techniciens et de mécaniciens à la disposition des scènes les plus folles… Sans compter les nombreuses pubs pour faire tourner son business.
Grandes frayeurs
Descentes de marches périlleuses, vols planés de camions en feu, voitures coupées en deux, dérapages et tête-à-queue, courses-poursuites avec motos, hélicoptères, bateaux, tout est possible… avec parfois quelques belles frayeurs. Dans Ouest-France, Rémy Julienne se souvenait ainsi avoir failli se noyer dans Rabbi Jacob en catapultant la DS de Pivert dans un étang, avec son bateau sur le toit – une fois sous l’eau et dans la vase, il ne retrouvait plus l’embout lui permettant de respirer… Sa plus grande peur, il l’a connue pourtant hors plateau quand il perd un jour le contrôle de sa Porsche entre Florence et Bologne, suivi d’un saut dans le vide de 47 mètres à travers les cimes des arbres, puis 150 mètres de tonneaux frontaux. Il s’en sort groggy, sonné, mais indemne.
Drame
Ce trompe-la-mort n’a jamais pensé arrêter. « J’ai un grain depuis le départ, quand on est un peu dingue dans sa tête, on continue… » Il lève pourtant le pied vers la fin de sa carrière, quand le drame survient, sur le tournage de Taxi 2, en 1999 : le caméraman Alain Dutartre décède tragiquement après avoir été percuté par une voiture. À plus de 70 ans, Rémy Julienne, lâché par la production, écope de 18 mois de sursis et d’une grosse amende – il fera appel. « Si la mort fait partie du quotidien du cascadeur, elle se doit d’épargner tous les autres. Je ne cesse de penser à Alain Dutartre, qui n’aurait jamais dû mourir ce jour-là », écrira plus tard Julienne dans ses Mémoires (1). (lepoint)