Ce scrutin aura sans doute été beaucoup plus disputé que ce qu’il imaginait, mais le résultat est là : Mohamed Bazoum, 61 ans, a remporté le second tour de l’élection présidentielle avec 55,7 % des suffrages, selon les chiffres annoncés ce mardi par la Commission nationale électorale indépendante (Céni), qui doivent être désormais confirmés et proclamés par la Cour constitutionnelle. Pour la première fois de l’histoire du Niger, un chef de l’Etat élu va donc céder la place, pacifiquement, à son successeur. A l’issue de ses deux mandats, le président sortant, Mahamadou Issoufou, avait fait de Bazoum son dauphin. Les deux hommes, vieux compagnons de lutte depuis l’époque où ils étaient dans l’opposition, installent donc un peu plus le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), qu’ils ont cofondé en 1990, au pouvoir.
En dépit de sa puissance de feu politique et financière, le PNDS n’a pas tout à fait écrasé le scrutin dans les urnes. Au premier tour, en décembre, Mohamed Bazoum avait obtenu 39 % des voix. Bien plus que son poursuivant, l’ancien président Mahamane Ousmane (17 %), bien moins que les 50 % qu’il ambitionnait de franchir directement. Pour le second tour, il avait rallié les candidats arrivés en troisième et quatrième positions, pensant, mathématiquement, s’assurer une confortable avance. Son score final a été une nouvelle fois un peu plus bas que prévu. Péché d’orgueil ? A moins que Bazoum ait sous-estimé la résonance populaire des attaques xénophobes de certains de ses opposants, qui l’ont accusé, lui, le membre de la petite minorité arabe, de ne pas être un «vrai» Nigérien ?
Caravane rose
La campagne officielle de l’ex-ministre de l’Intérieur était axée sur l’éducation. Mais Mohamed Bazoum promettait surtout la «continuité» de l’œuvre de Mahamadou Issoufou. Or pour beaucoup de Nigériens, son double mandat fut marqué par les accusations de corruption – même si Bazoum lui-même n’a pas été éclaboussé par les scandales – et une explosion de l’insécurité. Dans la région de Tillabéri, rongée depuis plusieurs années par des groupes jihadistes, Ousmane affiche ainsi un score électoral deux fois plus élevé que Bazoum. Dans les grandes villes également, le candidat du pouvoir a largement perdu le second tour. A Niamey, bastion de l’opposition, il ne récolte que 28 % des voix.
Mais au Niger, l’élection se gagne dans les campagnes. Et sur ce terrain, la machine du PNDS semble imbattable. Mohamed Bazoum le sait, lui dont la caravane rose – la couleur du parti – a sillonné sans relâche ce pays rural, jusque dans les villages reculés, pendant plusieurs mois avant le scrutin. «Pour écouter le pays profond et les doléances des gens», explique son équipe de campagne. Pour distribuer largement, aussi, cadeaux et promesses politiques.
Violences jihadistes le jour du vote
Dimanche, jour du vote, sept agents électoraux de la Céni ont été tués dans l’explosion d’une mine au passage de leur véhicule dans la région de Tillabéri, frontalière du Mali, et un président de bureau de vote a été assassiné par des «éléments de Boko Haram» dans la région de Diffa, près du Nigeria. Au-delà des violences jihadistes, le déroulement du scrutin a été sans surprise critiqué par l’opposition, qui le juge entaché de «fraudes massives». Le directeur de campagne de Mahamane Ousmane allant jusqu’à dénoncer mardi après-midi «un hold-up électoral» et exiger «la suspension immédiate de la publication des résultats».
Après le premier tour, l’opposition avait déjà déposé des recours auprès de la Cour constitutionnelle, sans succès. Elle dénonce de nouveau des taux de participation farfelus (de plus de 95 % dans certaines communes, voire 103 % pour l’une d’elles) dans les «zones nomades» du nord du pays acquises au PNDS. Même si certains de ses recours sont cette fois jugés recevables, ils n’ont aucune chance de renverser le cours général de l’élection, Mohamed Bazoum devançant Mahamane Ousmane de près de 500 000 voix (sur 4,5 millions de votants). Suffisant pour se mettre à l’abri d’une contestation juridique, mais loin du raz-de-marée que prédisait son état-major de campagne. Une petite piqûre d’humilité, à quelques jours d’accéder à la fonction suprême. (Libération)