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SOMALIE. Une crise politique qui fait craindre le pire

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Le déploiement lundi dans des quartiers de Mogadiscio de miliciens loyaux à des dirigeants de l’opposition, au lendemain d’échanges de tirs avec les forces de sécurité, marque une nouvelle escalade dans la crise politique en Somalie, dont l’histoire récente est jalonnée de violences.

Quelle est la situation?

Des miliciens armés et des véhicules équipés de mitrailleuses ont pris position dans des fiefs de l’opposition à Mogadiscio, au lendemain d’échanges de tirs avec les forces somaliennes de sécurité lors d’une manifestations de partisans d’opposants au président somalien Mohamed Abdullahi Mohamed, dit « Farmajo ».

Des tirs sporadiques, entendus dans la nuit, semblaient avoir cessé lundi. Mais des miliciens ont érigé des barrages dans certains quartiers et des habitants fuyaient, craignant de nouveaux affrontements.

Quelles sont les racines de la crise?

Le mandat de quatre ans du président Farmajo a expiré le 8 février, sans que des élections aient pu se tenir. Les députés ont voté le 12 avril la prolongation de deux ans du mandat du président et de son gouvernement, le temps d’organiser des élections présidentielle et législatives.

Cette prolongation, promulguée par le président, a été qualifiée d’inconstitutionnelle, notamment par le président du Sénat dont la chambre n’a pas pu examiner le texte.

L’opposition, qui considère l’autorité de Farmajo comme illégitime depuis le 8 février, dénonce un stratagème du président et de ses alliés pour se maintenir au pouvoir.

La décision d’étendre son mandat place Farmajo en opposition frontale à des rivaux politiques influents et armés, mais aussi aux puissances occidentales qui soutiennent son fragile gouvernement.

« C’est un territoire inconnu », estime Hussein Sheikh-Ali, président de l’Institut Hiraal, groupe de réflexion basé à Mogadiscio, « la Somalie est à nouveau au bord de l’effondrement total. »

Pourquoi une telle impasse?

Cette crise trouve ses racines dans le désaccord persistant entre Farmajo et les dirigeants du Puntland et du Jubaland, deux des cinq Etats semi-autonomes de la Somalie, sur la conduite les élections.

Un accord avait été trouvé en septembre pour des élections fin 2020-début 2021, selon un système où des délégués spéciaux choisis par de multiples chefs de clans élisent les parlementaires qui votent ensuite pour le président.

Mais cet accord a débouché sur une impasse, dont chacune des parties se rejette la responsabilité, et 

plusieurs négociations pour sauver les élections ont échoué. 

Si l’élite politique somalienne a pu sortir de précédentes crises électorales, « celle-ci marque une nouvelle phase, plus dangereuse », prévient Murithi Mutiga, directeur de projet pour la Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group (ICG).

« Le niveau de confiance entre les parties est si bas qu’il est difficile d’imaginer qu’elles feront des compromis », estime-t-il.

Un retour à la violence ?

Les rivaux de Farmajo au Puntland et au Jubaland sont alliés à une puissante coalition d’aspirants à la présidence et de poids lourds de l’opposition à Mogadiscio, dont deux anciens chefs de l’Etat et le président du Sénat.

Ces opposants affirment que la prolongation du mandat présidentiel, qu’ils jugent « nulle et non avenue », compromet la paix et la stabilité en Somalie. Une menace d’autant plus lourde que plusieurs ennemis de Farmajo sont à la tête de milices claniques.

D’autres personnalités ont publiquement marqué leur désaccord, comme le chef de la police de Mogadiscio. Ce dernier a été limogé après avoir tenté de fermer le Parlement avant le vote de lundi, qu’il avait publiquement dénoncé comme une tentative de s’emparer du pouvoir. 

Les analystes redoutent un éclatement des forces de sécurité, mal rémunérées et lourdement armées, selon des appartenances politiques et claniques, faisant craindre un retour aux combats de rue meurtriers à Mogadiscio.

« Ce ne sera pas deux heures de fusillade et ensuite les choses reviennent à la normale », met en garde Hussein Sheikh-Ali.

Quelles réactions étrangères ?

L’ONU avait prévenu qu’aucun nouveau report de scrutin ou prolongation de mandat ne serait toléré par la communauté internationale, qui maintient la Somalie à flot financièrement.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a averti mardi que les Etats-Unis étudiaient « tous les outils disponibles », y compris des sanctions, contre leur partenaire de longue date dans la guerre contre le terrorisme.

L’UE a également évoqué des « actions concrètes » si les discussions pour la tenue d’élections ne reprenaient pas.

Mais Farmajo peut compter sur le soutien du Qatar et de la Turquie et de ses alliés régionaux Erythrée et Ethiopie, et pourrait être tenté d’exploiter les divisions occidentales.

« Il faut voir la détermination et la cohérence de la pression internationale qui sera exercée sur lui », souligne M. Mutiga.

Et les shebab ?

Cette crise est favorable aux islamistes radicaux shebab qui contrôlent de larges portions du territoire et veulent renverser le gouvernement pour imposer la loi islamique.

Ces dernières semaines, ils ont diffusé des vidéos dénonçant le chaos politique et une élite au pouvoir avide et incompétente. 

Cette crise leur offre l’occasion de profiter des divisions dans les forces armées, estime Murithi Mutiga: « C’est un cadeau pour les shebab ». (Afp)

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