Au Nigeria, où il ne se passe plus un jour, parfois même une heure, sans que la presse ne rapporte une attaque meurtrière ou un enlèvement, le président Muhammadu Buhari est critiqué de toutes parts pour son incapacité à endiguer l’insécurité.
Le pays le plus peuplé d’Afrique est en proie à de multiples conflits, entre une insurrection jihadiste dans le nord-est, les attaques de bandes criminelles qui pratiquent des enlèvements de masse dans le nord-ouest et celles de séparatistes qui visent les forces de sécurité dans le sud-est.
Le 26 avril, la violence a atteint un paroxysme. Tout au long de la journée, les médias ont égrené les informations telles que : « 31 militaires tués », « 2.000 habitants en fuite », « Cinq policiers tués », « deux nouveaux étudiants enlevés exécutés »…
Sur les réseaux sociaux, des internautes nigérians ont proposé de rebaptiser ce jour « lundi noir », quand d’autres rétorquaient: « au Nigeria, il n’y a plus un jour qui ne soit pas un jour noir ».
Mardi, le parlement a demandé au chef de l’Etat de déclarer l’Etat d’urgence.
Au même moment, une avalanche de déclarations de parlementaires, de gouverneurs locaux et même du lauréat du prix Nobel de littérature Wole Soyinka ont appelé le président Buhari à contenir les violences.
« Notre nation est en guerre. Ceux qui se sont révélés faibles et incapables doivent apprendre à ravaler leur fierté et à chercher de l’aide », a exhorté M. Soyinka.
– Pression politique –
Les critiques ont fusé jusque dans son camp. « Nous faisons face à la pire instabilité de l’histoire de notre nation », déclarait Smart Adeyemi, un sénateur du parti présidentiel, le All Progressive Congress (APC). « C’est pire qu’une guerre civile », a-t-il lancé.
« La pression politique augmente sur le président Buhari alors que son gouvernement affirme qu’il fait de son mieux et qu’il réussit – ce que ne montre pourtant pas la réalité », affirme Bulama Bukarti, analyste au Tony Blair Institute for Global Change.
Si certaines de ces critiques sont vues comme opportunistes à l’approche de l’élection présidentielle en 2023, le nombre d’attaques est tel que les Nigérians se demandent si le gouvernement a encore le contrôle du pays.
Au cours de la semaine dernière, au moins 240 personnes ont été tuées et une cinquantaine d’autres enlevées lors d’attaques distincts dans le pays, selon un décompte de médias locaux.
Après une réunion vendredi avec les responsables de la sécurité du pays, le gouvernement a déclaré que le président Buhari est prêt à prendre toutes les mesures pour « mettre fin à l’assaut sur la nation ».
« Le président (…) ne doute pas que les agences de sécurité nigérianes et nous tous, en tant que nation, surmonteront certainement tous les problèmes de sécurité actuels », a assuré dans un communiqué le Conseiller à la sécurité nationale, Babagana Monguno.
« Les paroles et les déclarations ne suffisent pas. Nous avons besoin d’actions. J’en appelle à ce que M. le Président prenne le taureau par les cornes », a déclaré l’une des figures de l’opposition Bukola Saraki.
Lors d’une réunion en ligne avec le secrétaire d’État américain Anthony Blinken mardi, M. Buhari a déclaré que l’armée était « résolument engagée » dans la lutte contre l’insécurité et appelé à une plus grande coopération avec les partenaires étrangers.
Mais pour beaucoup, le président, âgé de 78 ans et régulièrement à l’étranger pour des raisons médicales, est en retrait.
« L’insécurité s’est aggravée et le président a été à peine visible, ce détachement a donné l’impression d’une absence de direction », note le cabinet de conseil en sécurité Songhai Advisory.
Et pourtant, M. Buhari, ancien général putschiste dans les années 1980, avait été élu en 2015 sur la promesse d’écraser la rébellion jihadiste dans le nord-est, qui a fait pas moins de 36.000 morts et deux millions de déplacés.
Mais six ans plus tard, les groupes Boko Haram et Etat islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) contrôlent toujours de vastes zones rurales ainsi que des routes stratégiques, où ils multiplient attaques et enlèvements de soldats, de civils et de membres d’ONG.
– « Une nation en sang » –
Après une série d’attaques particulièrement meurtrières, le président s’était finalement décidé en janvier à remplacer les principaux chefs de l’armée, mais hormis cela, les actes forts ont manqué.
Pis ces derniers mois l’insécurité s’est détériorée dans le nord-ouest, région dont M. Buhari est originaire. Des gangs criminels qui terrorisent depuis des années les populations se sont lancés dans des enlèvements de masse d’écoliers et d’étudiants, provoquant une indignation internationale.
« Le gouvernement nigérian fait preuve d’une flagrante incompétence, et il a failli à son devoir de protéger la vie de ses concitoyens et à mettre fin à l’augmentation de l’insécurité », accusait mercredi sur Twitter l’ONG Amnesty International.
Si le ministre de la Défense Bashir Magashi a reconnu vendredi « une nation en sang », il blâme cependant une élite prête à attiser les violences pour ses propres intérêts.
D’autres analystes appellent toutefois à prendre du recul: « On entend sans cesse et depuis toujours que la violence augmente au Nigeria », nuance Marc-Antoine Perouse de Montclos, politologue spécialiste des conflits armés à l’Institut français de recherche pour le développement (IRD).
Mais que les violences augmentent ou diminuent, elles sont « depuis des années à un niveau inacceptable », dit-il.
Car selon lui, « ni M. Buhari ou ses prédécesseurs n’ont voulu s’attaquer au cœur du problème, réformer en profondeur une armée et une police, corrompues et où règne l’impunité ». (Afp)