Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, accuse la plateforme de privilégier « le profit plutôt que la sûreté » de ses utilisateurs dans une interview télévisée
Employée de Facebook depuis 2019 au département « intégrité civique », Frances Haugen a quitté le géant californien en mai dernier, emportant avec elle de nombreux documents internes qu’elle a transmis au Wall Street Journal. La fuite de ces documents, et ce qu’ils révèlent, avait interpellé de nombreux citoyens et élus américains. Ce dimanche, la lanceuse d’alerte s’est montrée pour la première fois à visage découvert dans l’émission 60 Minutes, diffusée par la chaîne CBS. Elle doit également être auditionnée ce mardi par la commission au Commerce du Sénat américain. Ce dimanche, le sénateur démocrate Richard Blumenthal, membre de la commission, a rendu hommage au courage de la lanceuse d’alerte.
L’ancienne ingénieure chef de produit pointe notamment la responsabilité de Facebook dans l’assaut du Capitole, en janvier dernier, par les militants pro-Trump. Quel est le rapport entre cette insurrection qui avait fait 5 morts et le réseau social ? Rembobinons. Avant le scrutin présidentiel américain de novembre 2020, Facebook avait modifié ses algorithmes pour réduire la diffusion de fausses informations. C’est le service de Frances Haugen qui veillait à ce que certains utilisateurs ou contenus ne perturbent pas le bon déroulement des élections.
« Priorité à la croissance plutôt qu’à la sûreté »
Mais selon la lanceuse d’alerte, « dès que l’élection a été terminée », le groupe les a reconfigurés comme avant, « pour donner la priorité à la croissance plutôt qu’à la sûreté », a-t-elle soutenu dans son entretien à l’émission 60 Minutes, sur CBS. « Il y avait des conflits d’intérêts entre ce qui était bon pour le public, et ce qui était bon pour Facebook », a insisté Frances Haugen, et le groupe, « une occasion après l’autre, choisissait de privilégier ses intérêts, c’est-à-dire faire plus d’argent ».
Critique, elle estime que la situation à Facebook est « sensiblement pire » que parmi les autres réseaux sociaux où elle a travaillé, comme Pinterest ou le site de rencontres Hinge. Pour Frances Haugen, c’est à la suite du retour aux anciens algorithmes que de nombreux utilisateurs de Facebook ont pu se servir de la plateforme pour se mobiliser en vue des événements du 6 janvier, qui ont mené à l’intrusion au Capitole.
« Trop facile » pour Nick Clegg
En prévision de la diffusion de cet entretien, le vice-président du groupe Nick Clegg est allé tenter de limiter les dégâts sur la chaîne CNN. L’ancien vice-premier ministre britannique a jugé « trop facile de chercher une explication technologique à la polarisation politique aux Etats-Unis ». La responsabilité « de l’insurrection » sur le siège du Congrès « incombe aux personnes qui ont infligé les violences et à ceux qui les ont encouragées, dont le président [Donald] Trump », précise-t-il.
Nick Clegg a aussi tenu à répondre sur un autre volet des révélations permises par la fuite de documents, concernant Instagram, dont Facebook est propriétaire. Une enquête, révélée par le Wall Street Journal, montrait que 32 % des adolescentes estimaient que l’utilisation d’Instagram leur avait donné une image plus négative de leur corps lorsqu’elles n’en étaient déjà pas satisfaites. « Nos recherches ou celles de n’importe qui d’autre ne corroborent tout simplement pas le fait qu’Instagram soit mauvais ou toxique pour tous les adolescents », défend le vice-président du groupe. « Je ne trouve pas surprenant, de façon intuitive, que si vous ne vous sentez déjà pas bien dans votre peau, aller sur les réseaux sociaux puisse vous faire vous sentir encore un peu moins bien », ajoute-t-il.
Vers une régulation de Facebook ?
Sous pression, l’entreprise californienne a annoncé suspendre le développement d’une version d’Instagram pour les moins de 13 ans, mais elle n’y a pas renoncé. Nick Clegg a également reconnu que Facebook devait essayer de « comprendre comment [il] contribue aux contenus négatifs et extrêmes, aux discours haineux et à la désinformation ». « Les actions de Facebook montrent clairement qu’il ne se réformera pas seul », a réagi le sénateur Blumenthal dans un communiqué. « Nous devons envisager une régulation plus stricte. »
Frances Haugen admet également que « personne chez Facebook n’est malveillant ». Pour elle, Mark Zuckerberg, co-fondateur et PDG de Facebook, n’a jamais cherché à faire de Facebook une plateforme haineuse, « mais il a permis que des choix soient faits », favorisant la diffusion de contenus haineux. (20Minutes)