Accueil POLITIQUE Coup d’état au SOUDAN. Le début d’un scénario « à l’égyptienne » ?

Coup d’état au SOUDAN. Le début d’un scénario « à l’égyptienne » ?

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La confiscation, par les militaires, de la transition menée conjointement avec les civils depuis la chute de l’autocrate Omar El-Béchir au Soudan, rappelle ce qu’il s’est passé en Égypte en 2013, pays dans lequel l’armée joue également un rôle omnipotent.

C’est un mariage de raison qui vient de voler en éclats au Soudan. Les masques sont tombés, lundi 25 octobre, avec l’arrestation, par les militaires, des ministres et membres civils du Conseil de souveraineté, dont le Premier ministre, Abdallah Hamdok, qui chapeaute depuis 2019 une transition démocratique fragile.

À la tête de ce coup d’État, le général Abdel Fattah al-Burhane promet cependant de poursuivre « une transition vers un État civil et des élections libres en 2023 ». 

Des déclarations de bonnes intentions qui n’ont pas convaincu la communauté internationale, ni les milliers de Soudanais qui sont descendus dans les rues de Khartoum pour critiquer cette reprise en main brutale des militaires.

« Le principe de la transition restant populaire, les militaires se présentent comme ceux qui vont la sauver et la mener à son terme. Mais Abdel Fattah al-Burhane n’a pas précisé qui sera autorisé à se présenter à ces élections en 2023 », analyse pour France 24 Marc Goutalier, consultant à l’Observatoire des pays arabes, qui prédit le retour d’un gouvernement dominé par l’armée.

À l’exception d’une interruption de dix ans, les gouvernements militaires se sont succédé à la tête du Soudan depuis son indépendance en 1956, ainsi que les coups d’État. Omar el-Béchir, aux affaires durant trente ans, était lui-même arrivé au pouvoir en renversant une coalition gouvernementale instable en 1989.  

Double jeu des militaires

Sans être inévitable, le retour des militaires au Soudan apparaissait comme une hypothèse de plus en plus crédible. « Depuis deux ans, les militaires n’ont cessé de repousser les civils dans des positions marginales, alors que ces derniers ont beaucoup travaillé pour faire évoluer la structure de l’État », explique sur France 24 Raphaëlle Chevrillon-Guibert, de l’Institut de recherche pour le développement.

À l’inverse, l’armée a laissé aux civils le soin d’assumer les réformes les plus impopulaires, en particulier les mesures d’austérité imposées par le Fonds monétaire international (FMI). 

Pays le plus endetté du continent africain, le Soudan est plongé dans un marasme économique qui s’est aggravé avec la pandémie de Covid-19. En février, le pays a notamment été contraint de dévaluer sa monnaie de 85 % pour sauver une économie au bord du précipice.

Selon les partisans des autorités civiles, les militaires ont instrumentalisé ces difficultés pour pointer du doigt l’incompétence supposée des civils et mieux se présenter en sauveur de la nation. 

« Il y a un faisceau de présomptions tendant à prouver que le gouvernement militaire a laissé faire un certain nombre de désordres », explique Gauthier Rybinski, chroniqueur international de France 24, qui rappelle que l’armée n’est pas intervenue pour mettre fin à l’occupation des installations portuaires de Port-Soudan. 

Depuis plus d’un mois, des centaines de manifestants? issus de la tribu des Beja, barrent l’accès aux terminaux d’import-export du principal port soudanais, pour réclamer la renégociation des accords de paix de Juba, avec des conséquences désastreuses pour des secteurs vitaux comme le pétrole ou encore l’agriculture.

Al-Burhane, al-Sissi même combat ? 

« On voit se répéter ici le scénario maintes fois vécu au Moyen-Orient? et au Soudan en particulier, de l’armée jouant au pompier pyromane, créant des crises pour se présenter en sauveur qui répond aux aspirations de la population, analyse Marc Goutalier. C’est un scénario que l’on a déjà vu en Égypte« ,

En juillet 2013, Mohammed Morsi, premier président élu au suffrage universel lors d’un scrutin libre, avait été éjecté par l’appareil sécuritaire égyptien? qui avait fait son grand retour au pouvoir, en la personne du maréchal Sissi.

« Le modèle d’inspiration d’Abdel Fattah al-Burhane, c’est justement le maréchal Sissi. À mon avis, il se verrait bien en Sissi soudanais », avance Marc Goutalier.

« L’Égypte serait plus à l’aise avec un gouvernement militaire au Soudan, plutôt qu’avec un pouvoir civil auquel on reproche des divisions internes. Il est donc plus facile pour un militaire comme Sissi de travailler avec un militaire comme Buhrane », assure Raphaëlle Chevrillon-Guibert.

À l’image des militaires égyptiens, l’armée soudanaise est un véritable État dans l’État, contrôlant de larges pans de l’économie. Selon les estimations, les services de sécurité contrôleraient plus de 250 entreprises dans toute une série de secteurs, dont les mines d’or, l’élevage, les télécommunications, le système bancaire et le bâtiment.

Ces sociétés, appartenant aux généraux, ne payent pas d’impôts sur les bénéfices et opèrent dans une totale opacité. Fin décembre 2020, le Premier ministre déchu Abdallah Hamdok avait critiqué cette situation, mais sa volonté de remettre en cause la mainmise des hauts gradés sur l’économie du pays s’était heurtée à une fin de non-recevoir de la part du général Abdel Fattah al-Burhane.

Soutien d’Israël

Désormais seuls aux manettes, les militaires devront composer avec une forte pression internationale, mais ils pourront compter sur des alliés capables de les soutenir financièrement comme les pétromonarchies du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, ou encore Israël.

Le Soudan est l’un des quatre États arabes à avoir récemment décidé de reconnaître l’État hébreu dans le cadre des accords d’Abraham. Le général Burhane a d’ores et déjà annoncé qu’il respecterait les accords internationaux signés par son pays. Un message envoyé aux gouvernements israélien et américain, après des mois de conflit avec les autorités civiles soudanaises opposées à ce processus de normalisation.

De leurs côtés, les États-Unis, dont l’émissaire Jeffrey Feltman était la veille encore dans le bureau du Premier ministre soudanais, ont déjà prévenu que « tout changement du gouvernement de transition mettait en danger l’aide américaine ». Washington vient d’ailleurs d’annoncer la suspension de 700 millions de dollars d’aide.

Depuis la tentative de coup d’État présumé fin septembre au Soudan, la menace de sanctions américaines est brandie par l’administration Biden « mais il se trouve que les États-Unis ont bien d’autres priorités […] et le Soudan reste un pays relativement mineur », estime Marc Goutalier, qui là encore voit se dessiner un scénario « à l’égyptienne ».

« Comme avec l’Égypte en 2013, les États-Unis finiront par lever les sanctions et rétablir l’aide au Soudan », ajoute-t-il. « Et on sera reparti avec un régime militaire ». 

Mais le camp des civils n’a pas encore dit son dernier mot. Malgré leurs divisions, partis politiques et syndicats comptent bien mobiliser l’opinion à travers des manifestations et des appels à la grève pour tenter de faire plier les militaires et sauver leur révolution. (

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