Depuis des mois, les automobilistes qui traversent le riche quartier d’Ikoyi à Lagos sont accueillis par le visage de Bola Tinubu, dont les affiches de campagne présidentielle sont placardées partout dans la tentaculaire mégalopole nigériane qu’il a jadis dirigée.
Partout ou presque, l’ancien gouverneur, surnommé localement le « Parrain » pour son influence dans son fief, apparaît souriant au-dessus des embouteillages monstre.
M. Tinubu espère réaliser en février 2023 son ambition de toujours: être élu président du pays le plus peuplé d’Afrique.
Mais à neuf mois du scrutin, sa place dans la course présidentielle n’est pourtant pas assurée: il doit d’abord être désigné candidat par sa formation politique, face à 24 autres prétendants.
Leurs destins seront tranchés à partir de ce week-end à Abuja au cours d’une primaire organisée par le Congrès des progressistes (APC), le parti au pouvoir dont est membre M. Tinubu.
Le principal candidat de l’opposition sera également connu dans les prochains jours alors que le Parti démocratique populaire (PDP) organise à partir de vendredi sa primaire à Abuja.
Le choix du candidat à la présidence de l’APC et du PDP fera probablement émerger un favori pour succéder au président Muhammadu Buhari, ex-général de l’armée qui a annoncé quitter le pouvoir après huit ans d’exercice.
M. Buhari, âgé de 79 ans, termine son deuxième mandat sous le feu des critiques car son pays est toujours en proie à une insurrection jihadiste dans le nord-est et à des bandes criminelles dans le nord-ouest et le centre.
Encore affaibli par la pandémie de coronavirus, le Nigeria -première économie et premier producteur de pétrole d’Afrique- fait désormais face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine, qui a fait grimper les prix du carburant et des denrées alimentaires sur tout le continent.
Dans la course à la présidence, tous les regards seront tournés vers M. Buhari pour savoir qui il soutiendra.
APC vs PDP
Du côté de l’APC, M. Tinubu est opposé à son ancien poulain, l’actuel vice-président Yemi Osinbajo, qui vante son expérience de la gestion du gouvernement fédéral.
Les deux hommes, qui ont autrefois travaillé ensemble dans le gouvernement de l’État de Lagos, ont sillonné tout le pays pour obtenir le soutien des gouverneurs et des délégués locaux.
« S’il y a bien quelqu’un qui peut être opérationnel immédiatement, c’est moi », a assuré le vice-président Osinbajo au cours d’une récente visite dans l’Etat d’Ogun (sud-ouest).
Rotimi Amaechi, qui a récemment démissionné de son poste de ministre des Transports dans le gouvernement de Buhari, également originaire du Sud, est l’outsider face à ces deux acteurs de premier plan.
Au PDP, l’éternel candidat et ancien vice-président Atiku Abubakar en est déjà à sa sixième tentative de briguer la présidence. En cas d’élection, il a promis une main ferme pour mettre fin à l’insécurité généralisée dans le pays.
Face à lui, deux rivaux de premier plan : Bukola Saraki, ancien président du Sénat, et Aminu Tambuwal, actuel gouverneur de l’État de Sokoto et bénéficiant d’un solide soutien dans le Nord du Nigeria, majoritairement musulman. Ezenwo Nyesom Wike, gouverneur de l’État de Rivers, est également candidat.
Du Nord ou du Sud ?
Depuis la fin des dictatures militaires et le retour de la démocratie en 1999, le Nigeria a organisé six élections nationales qui ont souvent été entachées de plaintes pour fraude, de problèmes logistiques, de violences et de contestations judiciaires.
En 2019, Atiku Abubakar, qui s’était incliné face à Buhari, réélu, avait contesté les résultats devant la justice pour des allégations de fraude.
Pour tenter de concilier ce pays extrêmement divisé entre un Nord musulman et un Sud chrétien, le Nigeria pratique le +zoning+, un accord interne au sein de l’APC et du PDP qui prévoit une alternance entre des candidats originaires du nord et du sud entre deux élections.
Cet accord vise à maintenir l’équilibre au Nigeria qui compte plus de 250 groupes ethniques et où les tensions intercommunautaires sont fréquentes.
Après les deux mandats de Buhari, issu du Nord, « il y a une élite (au sein de l’APC) qui consent à +zoner+ le pouvoir au Sud » même si certains pourraient pousser pour le Nord, explique Tunde Ajileye, analyste au cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence.
« Buhari aime se voir comme une personne juste, il est convaincu qu’au nom de l’équité, le pouvoir devrait aller vers le Sud. »
Mais si Tinubu, Osinbajo et Amaechi sont originaires du Sud, le président actuel du Sénat, Ahmed Lawan, issu du Nord, a récemment annoncé sa candidature, soulevant des questions sur le soutien des puissants bastions de l’APC dans le Nord. (euronews)