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Afghanistan : état des lieux un an après la prise de pouvoir des talibans

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L’Afghanistan semble au bord de l’effondrement. 365 jours après la prise du pouvoir par les talibans le 15 août 2021, tous les voyants sont au rouge.

Chaque soir, des attroupements se forment devant les boulangeries de la capitale afghane. Des dizaines de résidents démunis demandent la charité. Sous leur burqa bleue, les femmes, nombreuses, supplient les passants de leur donner quelques naan (pains), concurrencés par des enfants et des hommes qui tendent leur paume aux clients. En Afghanistan, la misère a frappé de plein fouet un pays déjà sinistré par 40 ans de guerre. Le taux de pauvreté est passé de 72% en 2021 à 97% en 2022.  

Fatima fait partie de ceux qui ont vu leur vie a basculé de la pauvreté à l’extrême pauvreté. Dans son modeste logis en terre cuite, elle extrait un sachet de pois cassés d’un tiroir. « Voilà tout ce qu’on a, dit-elle. Cela fait trois mois que nous n’avons pas pu payer notre loyer, ni les factures d’électricité ni même l’eau ». Sous la République islamique d’Afghanistan, son époux possédait une échoppe qu’il a dû fermer faute de clients. Il est désormais vendeur ambulant et gagne environ 150 afghanis par jour, soit 1,60 euro qui permet à la famille d’acheter chaque jour quelques pains, souvent leur unique repas accompagné de thé.

La malnutrition menace plus de 1 million d’enfants

Des distributions de nourriture sont organisées à travers le pays, mais elles sont insuffisantes. Les organisations humanitaires estiment que 95% de la population ne mange pas à sa faim. Dans les camps de déplacés internes du pays, où la population est parmi la plus vulnérable, de nombreux enfants souffrent de malnutrition.

Dans le campement informel de déplacés internes de Shahrak-e-sabz à Herat dans l’ouest du pays, Mahamat Yatim, le représentant communautaire, est inquiet. « Comme il n’y a pas assez à manger, les enfants deviennent de plus en plus faibles. Regardez », dit-il, en montrant le bras décharné d’une petite fille au ventre gonflé et aux joues creuses. « Elle a 7 ans et sa sœur à côté en a 5 ans, pourtant elle a l’air plus petite qu’elle. C’est parce qu’elle est mal nourrie ». « J’ai mal partout », murmure la petite-fille qui, épuisée, passe ses journées, assise sur le pas de leur abri en pisé.

Selon l’ONU, plus de 1 million d’enfants afghans de moins de cinq ans sont menacés de malnutrition. Les unités de nutrition thérapeutique ne désemplissent pas à travers le pays. Sarah Vuylsteke, coordinatrice de projet à Médecins sans frontières à Herat, constate une augmentation du nombre d’enfants souffrant de malnutrition au cours des 12 derniers mois, mais elle s’inquiète également de la malnutrition chez les femmes enceintes ou qui allaitent leur bébé, un phénomène qui prend de l’ampleur et qui a des répercussions directes sur la santé des nourrissons.

Le système de santé menacé

Alors que les besoins augmentent, le système de santé, fragilisé par 40 ans de guerre, est sous pression. Avec les sanctions internationales qui pèsent sur le pays depuis que les talibans ont pris le pouvoir, le système de santé qui dépend presque entièrement des bailleurs de fonds internationaux, souffre d’un manque de moyens et d’une couverture de soins réduite. Des établissements de santé ont fermé leurs portes. De nombreux employés médicaux ont démissionné ou quitté le pays, réduisant l’ensemble du personnel médical qui tente de répondre aux urgences.

L’hôpital Afghan-Japan de Kaboul est l’illustration même des limites des secteurs sous perfusion de l’aide internationale. Cet hôpital, unique dans le pays, est spécialisé dans la Covid-19. Depuis mi-juillet, il n’a reçu aucun financement. Le personnel de santé n’a pas été payé, mais les médecins continuent de travailler. « Nous continuerons bénévolement jusqu’à ne plus pouvoir le faire », explique le chef de l’hôpital qui espère que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) renouvellera le contrat d’aide qui a expiré.

Dans les hôpitaux publics du pays, les équipes médicales craignent la suspension des financements internationaux. À l’hôpital des vingt lits de Bagram dans la province de Parwan au nord de Kaboul, le personnel travaille la boule au ventre, explique Abdul Nasser Sarwari, le directeur de l’établissement qui reçoit chaque jour 500 patients venus des villages alentours. « On nous a dit que le contrat de financement actuel ne durerait que deux mois », dit-il. « Si les financements sont suspendus, le système de santé du pays s’effondrera », lâche-t-il.

L’économie locale s’est effondrée

L’incertitude de l’avenir pèse aussi sur l’économie mise à mal par le changement de régime et les sanctions internationales. Depuis que les talibans ont pris le pouvoir il y a un an, l’économie locale s’est effondrée, le pays est plongé dans une grave crise financière. Le budget de l’État afghan dépendait à 75% de l’aide internationale, mais celle-ci a été suspendue avec l’arrivée au pouvoir des fondamentalistes religieux. Le chômage a explosé. 70% des ménages afghans sont incapables de répondre à leurs besoins essentiels.

Les banques, elles, manquent de liquidité et sont contraintes depuis un an d’imposer des plafonds de retrait hebdomadaires. La Banque centrale afghane est privée de ses réserves internationales, ses 7 milliards de dollars d’avoirs ayant été gelés aux États-Unis.

Des milliers d’entreprises ont périclité, ceux qui ont survécu peinent, victimes des sanctions internationales qui pèsent sur leur pays dirigé par un gouvernement taliban dont la légitimité n’a été reconnue par aucun pays à ce jour. « Nous fabriquons des produits que l’on exporte ensuite via DHL vers les États-Unis où ils sont vendus sur Amazon. Mais DHL est désormais fermé, explique Omaid Niazi, un jeune entrepreneur dans le textile à Kaboul. Nous avons entre 70 et 80 000 dollars de produits qui sont stockés en ce moment dans nos entrepôts. »

Si l’économie s’est effondrée, de nombreux chefs d’entreprise se réjouissent de la réduction de la corruption. « Avant, je donnais 200 000 afghanis (2 200 euros) de bakchich aux douanes afghanes pour le passage à la frontière iranienne d’un camion de marchandises »confie un importateur alimentaire. « Depuis un an, je paie des taxes en fonction des produits et tout est légal », se réjouit-il.  Même constat des transporteurs de marchandises, à Torkham, la frontière avec le Pakistan, où les colonnes de camions de marchandises n’ont jamais été aussi longues et le trafic fluide.

Les Afghanes, les damnées du régime

Pour les femmes, le 15 août marque une journée noire, comme l’ont inscrit sur leurs pancartes des manifestantes féministes qui ont défilé samedi 13 août devant le ministère de l’Éducation à Kaboul. Les fondamentalistes religieux ont instauré, depuis qu’ils ont pris le pouvoir, une version rigoriste de la charia islamique. Les femmes sont bannies de la vie politique et de la plupart des emplois. Les collèges et les lycées sont fermés aux adolescentes et malgré les promesses du régime taliban de rouvrir les établissements du secondaire, rien n’a changé.

Le port du voile intégral est obligatoire selon un décret publié en mai dernier. En l’espace de quelques mois, la vie des Afghanes s’est profondément dégradée, perdant l’essentiel de leurs droits dont celui de manifester.  Selon l’ONU, les restrictions actuelles à l’emploi des femmes entraînent une perte économique immédiate pouvant atteindre un milliard de dollars, soit jusqu’à 5% du PIB de l’Afghanistan.

Des dizaines de femmes continuent de se mobiliser pour défendre leurs libertés. Elles résistent malgré les risques. Certaines ont fini par céder à la peur, terrorisées après avoir été traquées et menacées. « J’ai travaillé pendant 17 ans dans les médias en tant que journaliste et présentatrice, raconte Azita. Mais ils ont fini par me réduire au silence ». Mère de trois enfants, elle a fini par se réfugier dans un pays voisin, en espérant obtenir l’asile en Europe. (rfi.fr)

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