Accueil AFRIQUE Burkina Faso : en attendant la fin du pouvoir militaire, les civils...

Burkina Faso : en attendant la fin du pouvoir militaire, les civils dans les starting-blocks

0

Encore deux ans : c’est ce temps qui sépare le pouvoir militaire de la transition du Burkina Faso d’un retour à une vie constitutionnelle normale (juillet 2024, NDLR), selon en tout cas l’agenda convenu entre les autorités issues du coup d’État du 24 janvier et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, Cédéao, au terme de plusieurs mois de négociations. Un timing jugé long aux yeux de certains observateurs, assez court pour d’autres, tous apprécient ce délai compte tenu de la situation sécuritaire du pays plus que jamais dégradée avec près de la moitié du territoire sous contrôle des groupes armés terroristes, des milliers de morts civils et militaires et près de deux millions de personnes déplacées internes selon les chiffres officiels.

Mais que la durée de la transition soit étendue ou non, rien ne semble empêcher le jeu des positionnements dans l’arène politique des civils, marqué par une reprise de plus belle de la transhumance politique et la naissance d’organisations de la société civile appelées, comme d’autres dans le passé, à se muer en partis le moment venu. Or, le chef de l’État, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, avait début février, lors d’une prise de contact avec la classe politique, réclamé une trêve du « militantisme politique débordant durant cette période de la transition », tout en adressant le même appel aux organisations de la société civile et les appelant plutôt à « l’accompagnement patriotique ». 

La transhumance politique en marche

Au sein de l’ex-parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le bal des démissions a été ouvert dès le premier trimestre qui a suivi le renversement de son leader, Roch Marc Christian Kaboré. Parmi les premiers à quitter le navire figurent des membres fondateurs de l’ex-parti présidentiel. Comme Abdoulaye Mossé, qui a officialisé sa démission fin mars pour annoncer plus tard, en début avril, la création du Parti panafricain pour le salut (PPS), un parti se réclamant « progressiste », lancé en grande pompe à Ouagadougou, avec le soutien d’autres démissionnaires du MPP, dont Ousmane Nacro, ministre de l’Eau sous l’ère Kaboré.

Des proches du président déchu, Roch Kaboré, dont l’ex-chef du Parlement Alassane Sakandé lors du lancement de BUTS, le 30 juillet à Ouagadougou. © Bernard Kaboré

Puis, des démissions au sein du parti se sont poursuivies, de même que la création de nouvelles structures politiques, notamment le mouvement Burkinabés unis pour la transformation sociale (BUTS), un regroupement de partis et d’organisations de la société civile, avec à sa tête l’ancien ministre de l’Économie, Rosine Coulibaly, et le Front progressiste, une autre organisation dite « apolitique » composée de proches de l’ex-président Kaboré. Pour de nombreux observateurs, ce qui apparaît aux yeux des profanes comme des dissensions au sein du parti est plutôt une stratégie politique qui consiste à démultiplier les forces et les réunir en temps opportun.

Du côté de l’ancienne opposition, dont le leader est le CDP, parti de l’ancien président Blaise Compaoré, l’heure est à la recherche d’une cohésion interne avant de pouvoir se mettre dans les starting-blocks. Car depuis la tenue d’un controversé congrès de désignation d’un président du CDP en décembre 2021, l’unité du parti a pris un coup. En effet, le leadership de celui qui a été reconduit à la présidence, Eddie Komboïgo, est contesté par un bloc de dissidents se réclamant de « l’aile historique » du parti qui demandent la tenue à nouveau du congrès aux conclusions contestées. Par conférences de presse et déclarations interposées, les deux camps ne manquent pas l’occasion de se lancer des piques.

La société civile pas en marge du jeu politique 

Quid des organisations de la société civile ? Elles ne sont pas en reste. Les unes, comme le Front national pour la libération (FNL), un regroupement d’organisations, affichent clairement leur soutien au pouvoir militaire. Mais à côté, il y a celles qui lui sont hostiles en disant tout haut ce que pensent tout bas nombre d’acteurs politiques. En substance, « le pouvoir doit revenir aux civils le plus vite possible ». En cause, « l’incapacité des militaires à rétablir la sécurité » suivant la promesse faite lors de leur prise du pouvoir de restaurer le pays dans ses limites territoriales et de soulager les souffrances des populations. Fin juillet, la Mobilisation des Intelligences pour le Faso (MIFa), un collectif d’universitaires et de militants de la société civile, lançait, dans une déclaration, un appel à ce propos : « L’Armée doit abandonner les lambris du pouvoir politique et investir résolument et en rangs serrés le théâtre des opérations. Sa réorganisation complète en vue d’une plus grande efficacité et efficience incombe dorénavant à un véritable pouvoir civil crédible légitimement investi et chargé de définir l’ensemble des nouvelles orientations conduisant à la victoire. »

 À travers d’autres lignes, le collectif a nommément visé le président Damiba, l’invitant à « démissionner ». Cet appel ne surprend pas Arouna Louré, député à l’Assemblée législative de transition (ALT) et leader du mouvement les Révoltés, une organisation de la société civile qui a participé aux contestations d’avant la chute de Roch Kaboré. « Si de plus en plus de voix brisent le silence pour demander publiquement une nouvelle forme de transition [civile ou inclusive ou encore légitime], c’est que la question mérite d’être débattue », soutient Arouna Louré. Et d’ajouter : « Je doute fort que, pour ceux qui sont sincères dans leur démarche, cela soit de gaieté de c?ur. Mais c’est une manière d’interpeller les autorités actuelles à plus d’efforts dans la gestion du pouvoir. Ceux qui posent le débat ont peut-être l’impression d’une impasse politique. »

Les civils sont-ils prêts à diriger ?

Par ce dynamisme de part et d’autre, les objectifs affichés ou non des politiques et des organisations de la société civile se déclinent en grande partie dans la perspective de la fin du pouvoir militaire de la transition. Se pose alors cette question : les civils sont-ils prêts à diriger ? Pour l’analyse politique Siaka Coulibaly, les prétentions des civils ne peuvent être appréciées que sur la base de programmes précis. « Les partis politiques n’ont pas encore présenté des projets sur la restauration de la sécurité qui se complique de plus en plus. Il faudrait attendre que leurs programmes soient publiés pour estimer leurs capacités à ramener la sécurité. Ce sujet sera probablement celui qui va servir à apprécier les prétentions des acteurs politiques à gérer convenablement le pouvoir », analyse le politologue.

Sur la posture à adopter par les civils en rapport avec le contexte national, les points de vue sont loin de converger. « S’il est vrai que la posture de la société civile dépend de la gestion même du pouvoir d’État par les autorités politico-militaires actuelles, cela n’empêche en rien qu’elle devrait s’organiser de manière responsable afin de défendre vaille que vaille les intérêts du peuple, en jouant dignement et de manière intègre son rôle », estime Alouna Louré. Cependant, « la société civile burkinabée est politisée », constate le député qui en veut pour preuve « la création d’organisations dites de la société civile par des hommes politiques et la naissance de coalitions incestueuses entre la société civile et des partis politiques ».

Député, lui aussi, et président exécutif de l’Institut Safer Africa (INSA), une Organisation panafricaine d’action humaine et développement durable, Drissa Sanogo est plus sévère envers ceux qui réclament un changement de l’ordre politique actuel. « Le débat politique pour l’heure n’est que suicidaire, car la situation sécuritaire actuelle est critique. L’ultime urgence pour le Burkina demeure le recouvrement de l’intégralité territoriale et le retour des personnes déplacées internes (PDI) dans leurs localités d’origine avant qu’on ne parle d’élections gage de retour de la démocratie. Le retour d’un civil au pouvoir est possible à la seule condition que la situation sécuritaire évolue positivement », estime Drissa Sanogo.

Pour le politologue Siaka Coulibaly, « le scénario le plus probable est celui des élections à la fin de la transition qui installent des organes élus ». Vu sous cet angle, « les acteurs partisans doivent se concentrer sur leurs propositions de programme qui permettraient de faire mieux que les militaires », analyse Siaka Coulibaly, qui fait remarquer que « les critiques des militaires ne disent pas non plus comment ils pourront faire mieux qu’eux ». Or, « les Burkinabés veulent sortir de la situation actuelle, quel que soit celui qui pourra résoudre leurs problèmes », ajoute-t-il. (Le Point)

AUCUN COMMENTAIRE

Quitter la version mobile