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Afrique du Sud : Cyril Ramaphosa, ses vaches et l’affaire des millions cachés

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Le président est accusé d’avoir passé sous silence un cambriolage dont il a été victime en 2020. Des voleurs avaient mis la main sur des fonds d’origine suspecte dans sa ferme de Phala Phala. Une affaire qui menace d’empoisonner son mandat.

Chemisette rouge à carreaux de gentleman-farmer, pantalon beige tenu fermement par une ceinture et chaussures tout-terrain, Cyril Ramaphosa pose à côté d’un troupeau d’ankolés. Une photo d’archive publiée par Farmers Weekly, l’hebdomadaire des fermiers sud-africains. Car avant d’arriver au pouvoir, en 2018, et en parallèle de ses investissements dans les mines, Cyril Ramaphosa s’était fait un nom en élevant des bovins.

En 2004, il introduit en Afrique du Sud la prestigieuse race ankolée, venue d’Ouganda. Le président Yoweri Museveni lui a vendu des vaches et des taureaux pour lancer son cheptel. La bête est réputée pour son lait, sa viande et son cuir. Impressionnant, avec ses immenses cornes en demi-lunes tournées vers le ciel, l’ankolé séduit les propriétaires de réserves privées qui cherchent à épater leurs visiteurs. Cyril Ramaphosa se passionne pour cette vache sacrée et lui consacre un livre de photographie en 2017. Aujourd’hui, ses opposants portent des t-shirts à l’effigie de cet animal en l’accusant d’avoir caché des millions de dollars issus de la vente de ses troupeaux.

Vache à lait

Car cette passion rapporte gros au président-éleveur. Cyril Ramaphosa vend ses bêtes de luxe aux enchères, en ligne ou depuis Phala Phala, l’une de ses fermes, située dans la province du Limpopo, au nord de Pretoria. Parmi ses acheteurs, il peut notamment compter sur son beau-frère, le président de la Confédération africaine de football (CAF), Patrice Motsepe. Le patron du foot africain a ainsi payé l’une d’elles 120 000 euros, en mars 2022.

Ramaphosa a ouvert son commerce à d’autres espèces, souvent rares, comme des hippotragues noirs (antilope), des buffles d’Afrique ou des bœufs wagyu. Un juteux business qui n’avait jamais été remis en question jusqu’en juin dernier, le problème étant désormais de savoir si l’argent généré par ces ventes a été dûment déclaré.

Le 1er juin 2022, un dénommé Arthur Fraser porte plainte contre Cyril Ramaphosa. C’est un proche de l’ancien président Jacob Zuma, dont il fut le chef des services de renseignement entre 2016 et 2018. Mais les mandats de l’espion et de Zuma ont pris fin quand Cyril Ramaphosa a poussé ce dernier à la démission et l’a remplacé à la présidence.

Quand Zuma part en retraite forcée, Fraser est recasé dans l’administration pénitentiaire. En juin 2021, l’ancien chef de l’État est condamné à quinze mois de prison pour outrage à la justice. Un petit tour en cellule et puis s’en va. Après deux mois de détention, son fidèle Arthur Fraser le fait sortir pour raison médicale. Cette décision est actuellement contestée devant la justice.

Aujourd’hui, Arthur Fraser n’exerce plus aucun mandat, mais il continue de grenouiller dans les milieux du renseignement et de la sécurité. Il affirme qu’on lui présente régulièrement des documents sensibles. C’est pourquoi il demande à la police d’enquêter sur le chef de l’État pour des soupçons de blanchiment d’argent et de corruption, à la suite « des informations, documents, photos et vidéos qui ont été portés à [son] attention », argumente-t-il dans sa déposition. À ceux qui douteraient de la fiabilité de ses tuyaux, Arthur Fraser fournit le minutage précis des caméras de surveillance qui ont filmé l’intrusion dans le domaine de Cyril Ramaphosa. La fuite de ces documents aurait de quoi inquiéter le chef de l’État.

Le 9 février 2020, après 22 heures, des cambrioleurs coupent le grillage qui délimite la ferme de Phala Phala. Le président est en déplacement en Éthiopie, au sommet de l’Union africaine. Venue du township voisin, l’équipe de voleurs n’avance pas à l’aveugle. Un employé de maison les aurait mis au parfum : une importante somme d’argent est cachée dans le mobilier du président. Jusqu’à 4 millions de dollars fourrés sous le matelas d’un canapé, dit-on. Ce sont plutôt 600 000 dollars qui ont été dérobés dans une armoire, affirme le média News24.

En dehors de tout cadre légal

Après la découverte du cambriolage, Cyril Ramaphosa informe le major-général Wally Rhoode, chargé de la protection présidentielle. Selon Fraser, le chef de l’État confie une mission secrète à Wally Rhoode : enquêter, retrouver les suspects et récupérer l’argent en toute discrétion.

C’est l’opacité de la démarche qui nourrit les accusations formulées par Arthur Fraser : ne pas avoir formellement déclaré le cambriolage à la police ; avoir interrogé des suspects en dehors de tout cadre légal, ce qui s’apparente à un enlèvement ; avoir soudoyé le personnel de maison pour qu’il se taise (plus de 8 500 euros offerts à chacun) ; avoir utilisé des moyens publics pour mener une enquête privée jusqu’en Namibie, d’où sont originaires certains suspects. Et, enfin, avoir dissimulé des devises étrangères dont l’origine est suspecte. « J’ai conscience que ce n’est pas anodin d’accuser un président en exercice d’actes criminels, mais je le fais dans l’intérêt de notre justice et de notre Constitution », écrit Arthur Fraser de la plume innocente d’un lanceur d’alerte.

Dès le lendemain de la plainte, la présidence confirme le cambriolage et se défend. Primo, ce sont les recettes de la vente de bétail qui ont été volées et il ne s’agit pas de blanchiment d’argent. Secundo, le cambriolage a été déclaré au général-major qui est rattaché à la police sud-africaine. Tertio, les accusations de comportement criminel sont infondées et le président coopère avec les enquêteurs. Huit autorités différentes ont désormais leur nez dans ce dossier, selon Ramaphosa. S’il se dit prêt à répondre aux questions, il refuse de s’exprimer en dehors du cadre des investigations.

Le chef de l’État est resté muet face au comité d’intégrité de son parti, le Congrès national africain (ANC). La médiatrice de la République a également tenté sa chance. Le 7 juin, Busisiwe Mkhwebane ouvre une enquête et adresse 31 questions à Cyril Ramaphosa. Le lendemain, elle est démise de ses fonctions.

Certes, c’est une personnalité contestée, largement critiquée pour son incompétence et proche du président déchu, Jacob Zuma. Elle était déjà menacée par une procédure de destitution lancée par le Parlement. Mais son renvoi précipité interroge. Une cour de justice a d’ailleurs cassé cette décision, la jugeant « inappropriée ». Un revers pour Ramaphosa, qui donne l’impression de se dérober.

Le 30 août, il n’est pas physiquement présent à l’Assemblée nationale pour faire face aux députés. Via une liaison vidéo, le président dit réserver ses explications aux autorités compétentes. « Alors qu’il est évident que certaines personnes et organisations essaient de tirer profit de cette situation, je pense que la meilleure des réponses est de permettre à la justice de suivre son cours », argue-t-il.

Face au malaise, l’affaire Phala Phala a été remise à l’ordre du jour lors d’une séance de questions, le jeudi 29 septembre. Les parlementaires cherchent toujours à savoir pourquoi Ramaphosa n’a pas simplement porté plainte. Le président, qui récite sa défense, échoue à convaincre.

Un air de déjà-vu

Depuis l’éclatement du scandale, l’Assemblée nationale est en ébullition et l’opposition tire à vue sur le président. Les membres du parti radical des Combattants pour la liberté économique (EFF) perturbent les sessions parlementaires jusqu’à se faire expulser manu militari pour outrage. Leur leader, Julius Malema, qualifie le chef de l’État de « kidnappeur », en référence aux interrogatoires menés par ses sbires.

Une ambiance qui rappelle les années Zuma et l’affaire Nkandla. L’ancien président avait été épinglé pour avoir financé les travaux de sa résidence privée de Nkandla avec des deniers publics. L’EFF de Julius Malema s’était fait un plaisir de transformer chaque apparition de Zuma devant le Parlement en manifestation exigeant son départ. « Rends l’argent », chantaient-ils en 2014.

Zuma avait survécu à une procédure de destitution, mais le scandale avait empoisonné le reste de son mandat. Cyril Ramaphosa pourrait subir le même sort. Héraut autoproclamé de la lutte anticorruption, le chef de l’État se retrouve désormais sur le grill. Mais l’ANC continue de faire bloc derrière son président. Comme un troupeau d’ankolés, le parti au pouvoir sait qu’il faut rester groupé pour espérer survivre. (Jeune Afrique)

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