Accueil A LA UNE Comprendre le débat autour du « 3e mandat » au Sénégal ?

Comprendre le débat autour du « 3e mandat » au Sénégal ?

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À mesure que la date de la prochaine élection présidentielle du 25 février 2024 approche, le débat sur la possibilité du président Macky Sall de briguer un troisième mandat déchaîne les passions au Sénégal. Si le camp présidentiel a déjà désigné l’actuel chef de l’Etat comme son candidat à la prochaine joute électorale, le concerné n’a officiellement ni accepté ni refusé cette perche.

Ce que dit la Constitution

En 2016, une révision de la constitution de 2001 est adoptée par voie référendaire sous l’impulsion du président Sall. Il ramène le mandat de 7 à 5 ans.

Lors de sa campagne électorale, le président Macky Sall avait promis que cette réduction s’appliquerait à son magistère. Mais le Conseil constitutionnel a donné un avis contraire. Seul son deuxième mandat sera un quinquennat.

La même révision touche un autre point sensible : la limitation des mandats à deux termes. « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », stipule la constitution sénégalaise dans son article 27.

Néanmoins, les proches de la coalition au pouvoir affirment que cette disposition ne concerne pas le premier mandat du président Sall qui était un septennat. Leurs propos suscitent l’ire de l’opposition qui y voit une tentative de maintien au pouvoir.

Quelle est la position de Macky Sall sur la question du troisième mandat ?

Si au début, Macky Sall était catégorique sur son mandat en cours qui est considéré comme le dernier, son discours a évolué au fil des ans.

« Je suis à mon premier mandat qui finira en mars 2019. Nous avons, il y a un an, engagé une réforme majeure de la Constitution par voie référendaire pour justement arrêter le débat », déclare Macky Sall à la presse en 2017 lors de la visite de son homologue Burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré. Il semblait manifestement agacé par cette rumeur sur une potentielle troisième candidature.

« Nous avions une majorité totalement qualifiée au parlement, mais nous avions choisi de consulter le peuple sur une réforme très sérieuse, très constructive [et] très consolidante de la Constitution pour régler principalement la question de la durée et du nombre de mandats du président de la République, ainsi que du mode d’élection. Cette question a été définitivement fixée dans cette constitution », affirme-t-il devant la presse locale lors de cette même rencontre en compagnie de M. Kaboré.

Selon M. Sall, lors du referendum organisé en 2016, il était plus question du nombre de mandats que de la durée.

« On devait passer du septennat au quinquennat bloqué, mais le nombre de mandats, c’est réglé depuis très longtemps. C’étaient deux mandats. Le nombre de mandats n’a pas été modifié. Pourquoi engager une discussion sur un débat de 2024 ? Un débat qui n’a pas lieu d’être puisque je suis dans la logique de ne pas dépasser deux mandats si le peuple sénégalais me fait confiance en 2019 », assène-t-il en 2017 au palais présidentiel.

Dans son livre publié en 2019, Le Sénégal au cœur, il affirmait également briguer son « deuxième et dernier mandat. »

Cependant, à l’occasion d’un entretien accordé à la presse locale au Palais présidentiel, la veille du nouvel an 2020, le président Sall, installe le doute dans le cœur des Sénégalais. À la question de savoir s’il compte se présenter à l’élection présidentielle de 2024, il répond « ni oui, ni non. »

Plus récemment, le Chef de l’Etat renforce la suspicion dont il fait l’objet. Dans un entretien accordé au journal français « L’Express », il estime qu’il a le droit de se présenter comme candidat lors de la prochaine présidentielle prévue en 2024. Selon lui, le Conseil constitutionnel « a estimé que mon premier mandat était intangible et qu’il était hors de portée de la réforme. » Pour lui, le débat se pose plutôt sur le terrain politique et non juridique. Il reste par contre évasif sur sa volonté d’être candidat, affirmant qu’il le fera savoir le moment venu.

Une déclaration qui sonne comme une confirmation pour ceux qui estiment que le président avance masqué.

Les arguments de ceux qui sont en faveur de la possibilité d’un troisième mandat

Le Chef de l’Etat n’est pas l’unique figure de la mouvance présidentielle à nuancer sa position sur la question du troisième mandat. En effet, Ismaïla Madior Fall, actuel Garde des Sceaux et ministre de la Justice, qui estimait en 2019 que « nul n’a le droit de faire deux mandats consécutifs » et « qu’il n’y a pas matière à interprétation », est revenu sur ses propos.

« En droit, aucun texte n’est clair », déclare-t-il dans une émission de la télévision nationale. Dorénavant, « tout texte est susceptible d’interprétation. »

Les militants de l’Alliance Pour la République (APR), le parti de Macky Sall, ont porté leur choix sur l’actuel président pour les représenter à la prochaine échéance électorale. Ils évoquent aujourd’hui un second quinquennat et non un troisième mandat. Le parti au pouvoir considère que le premier septennat du président Sall n’est pas concerné par la disposition de l’article 27 de la Constitution.

Une position que soutient la juriste Dr Ndeye Seynabou Ndione :

« C’est parce que le Conseil constitutionnel, étant le juge de l’interprétation de la loi, est le seul qui a la prérogative d’interpréter les dispositions de la Constitution. Et il a décidé donc que le mandat de 7 ans reste hors de portée de la loi nouvelle. On peut nettement considérer qu’il s’agit d’un premier quinquennat qu’a exercé pour le moment, le président de la République. Il lui reste un deuxième quinquennat », affirme Ndeye Seynabou Ndione à la BBC.

Les arguments de ceux qui sont contre la possibilité d’un troisième mandat

Contrairement aux partisans d’un second quinquennat de Macky Sall, Mouhamadou Ngouda Mboup estime que ceci ne relève que d’une mauvaise foi du camp présidentiel. M. Mboup est enseignant chercheur en droit public à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et par ailleurs chargé de la Haute autorité de régulation du Pastef, parti de l’opposition sénégalaise.

Selon lui, la constitution de 2001, n’a fait que l’objet de modifications en 2016 et non d’abrogation. « On a juste modifié l’article pour mieux le verrouiller », précise-t-il.

« Cela signifie tout simplement que nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. C’est une exclusion absolue qui est tout simplement intemporelle dans la mesure où c’est verrouillé dans la clause d’éternité à travers l’article 103 de la Constitution », argumente Mouhamadou Ngouda Mboup.

« La révision constitutionnelle change quelques aspects. Ici, l’aspect qui a été changé, c’est juste la durée du mandat et non pas le nombre de renouvellements d’accord », martèle-t-il.

La jurisprudence Abdoulaye Wade ?

Avant Macky Sall, Abdoulaye Wade a également réduit son mandat de sept à cinq ans. Il a été élu pour un septennat, avant de faire adopter une nouvelle constitution en 2001 par voie référendaire.

Le Chef de l’Etat de l’époque avait dans un premier temps assuré qu’il ne sera pas candidat à un troisième mandat car, « ayant verrouillé la Constitution ». Il revient sur sa position en assumant publiquement s’être dédit de son engagement.

Ses partisans affirment alors que la nouvelle Constitution n’est pas rétroactive, qu’elle ne prend pas en compte le premier mandat de sept ans du président Wade. Par conséquent, son premier quinquennat constitue désormais le premier mandat de cette constitution.

Cette volonté de briguer un troisième magistère déclenche une vague de violence dans le pays.

Sa candidature est malgré tout validée par le Conseil constitutionnel. Cependant, Abdoulaye Wade est finalement battu dans les urnes en 2012 par l’actuel président Macky Sall qui est aujourd’hui soupçonné à son tour, de suivre les traces de celui dont il était le Premier ministre.

Qui décide en dernier ressort ?

Le Conseil constitutionnel est l’organe habilité à trancher le débat sur la possibilité d’un troisième mandat de Macky Sall selon la constitutionnaliste Ndeye Seynabou Ndione et l’enseignant-chercheur en droit public, Mouhammadou Ngouda Mboup.

Cependant, M. Mboup rappelle que « politiquement, le peuple sénégalais aussi a le dernier mot. » (bbc.com)

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