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Soudan : comment les intérêts du Caire, Abou Dhabi et Riyad compliquent le conflit entre généraux

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Alors que l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite se sont montrés généreux avec le Soudan depuis 2019, lui octroyant une aide financière et en recevant les généraux Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdane Daglo dit « Hemedti », les trois pays œuvrent désormais dans les coulisses pour soutenir l’un ou l’autre des deux belligérants en fonction de leurs intérêts. S’ils gardent en apparence des liens avec les deux parties, une lutte sournoise s’est engagée entre les alliés d’hier. Leurs intérêts se contredisent actuellement sur le terrain soudanais.

Depuis la chute du président Omar el-Béchir au Soudan en 2019, trois pays arabes alliés se sont montrés très généreux pour aider Khartoum à se remettre débout. Ils lui ont accordé une aide financière de 3 milliards de dollars et ont reçu les deux généraux Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdane Daglo dit « Hemedti » dès 2019 alors qu’ils étaient à la tête du Conseil militaire.

Le général al-Burhan était reçu au Caire alors que Hemedti a eu droit à ces mêmes honneurs à Riyad et Abou Dhabi.

C’était pendant que le peuple soudanais protestait sur la place du commandement général de l’armée, scandant des slogans refusant l’aide de ces trois capitales : les manifestants voyaient dans cette aide une porte ouverte à l’ingérence. Depuis, ils accusent l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte de chercher à maintenir les militaires au pouvoir. Et le rapport entre ces trois pays se complique désormais.

Les Émirats soutiennent Hemedti

En octobre 2021, alors que la junte militaire au Soudan menait un coup d’État contre le gouvernement de transition dirigé par Abdallah Hamdok, l’Égypte, tout comme l’Arabie saoudite ou les Emirats se sont rangés derrière un silence assourdissant.

Pour l’opposition soudanaise, ce silence voulait tout dire : ces trois pays de la région ne souhaitent pas voir un pouvoir démocratique au Soudan. Car cela « menacerait leur pouvoir peu démocratique », insistent les civiles soudanaises, qui accusent ces trois alliés de vouloir « confisquer la révolution » au Soudan.

Abou Dhabi, tout comme Riyad, donnait depuis un certain temps des signaux indiquant leur préférence pour le général Hemedti, qui, à ses 43 ans, est de la même génération que l’émir d’Abou Dhabi et président émirati Mohammed Ben Zayed (MBZ) et que le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS). Comme eux, il appartient à cette nouvelle génération de leaders arabes qui avance avoir une nouvelle vision stratégique pour appréhender le pouvoir et diriger leur pays : lutter contre l’influence iranienne, lutter contre les forces de l’Islam politique et lutter contre « la contagion démocratique » dans la région. Celle-ci est considérée comme un danger pour les monarchies du Golfe.

« Hemedti », est donc l’homme des Émirats arabes unis au Soudan et leur chef de l’État n’a pas hésité à s’afficher publiquement avec lui en le recevant en février dernier. Si l’on croit le quotidien américain New York Times, l’allié le plus proche de Hemedti à Abou Dhabi serait le Cheikh et vice-président Mansour Ben Zayed, qui possède également des contacts très étendus avec les groupes armés au Darfour.

Depuis 2017, les Ben Zayed étaient en conflit avec le président Omar el-Béchir : le dictateur refusait alors de prendre position pour les Émirats et contre le Qatar dans le conflit qui opposait les deux États du Golfe. Les Émirats avaient alors commencé à se détourner de l’ancien président et ont appuyé sa chute. En 2019, une fois qu’Omar el-Béchir s’est retrouvé en prison, Abou Dhabi et Riyad ont alloué une aide financière de 3 milliards de dollars au Soudan.

L’argent de l’or et de mercenariat

Mais déjà en 2018, le général Hemedti s’était rapproché des Émirats. Il envoie des milliers d’hommes combattre au Yémen aux côtés des forces saoudiennes et émiraties, impliquées dans la guerre contre les rebelles houthis. Pour cela, le général gagne des millions de dollars.

Il s’enrichit également en exploitant et en vendant l’or du Soudan, pourtant propriété de l’État, aux Émirats et à la Russie à des tarifs préférentiels.

C’est cet argent, déposé en grande partie dans les banques de Dubaï, qui paie aujourd’hui les Forces de soutien rapide (FSR) qu’Hemedti dirige. D’ailleurs, ses forces sont mieux équipées en armes légères que l’armée régulière, ce qui a constitué un point de tension entre les deux parties, avant le déclenchement des affrontements actuels.

Intérêts économiques au Soudan

Les Émirats sont aujourd’hui les plus grands investisseurs parmi les pays du Golfe. Depuis plus d’une décennie, ils ont développé leur présence économique en Afrique et plus précisément dans la Corne du continent, où ils ont principalement investi dans les ports et dans le transport maritime. S’appuyant sur cette offensive économique, les Émirats cherchent à accroître leur influence et à confirmer leur rôle d’acteur régional et influent dans la région. Le Soudan en fait partie.

Car le Soudan est un pays riche en ressources naturelles et en terrains fertiles. Avec ces 200 millions d’hectares de terrain fertile, il peut nourrir les pays arabes et de l’Afrique réunis. Mais actuellement, il importe son blé de Russie et d’Ukraine. Il possède 100 millions de têtes de bétail et est le deuxième producteur d’or en Afrique, et est également riche en uranium, cobalt et argent.

Depuis plus de deux décennies, les guerres dans ce pays ont été motivées par le partage des richesses et du pouvoir.

L’Égypte soutient al-Burhan

Depuis la chute du président Omar el-Béchir en 2019, le Caire et Abou Dhabi forment les acteurs régionaux les plus influents dans le dossier soudanais. Abou Dhabi mise sur le numéro deux de l’armée et chef des paramilitaires des FSR principalement pour défendre des intérêts économiques.

Mais c’est pour une tout autre raison que le Caire mise sur le numéro un de l’armée : le général Abdel Fattah al-Burhan. Plus stratégiquement, l’Égypte préfère qu’il accède au pouvoir.

Les affrontements qui durent depuis le 15 avril entre les deux militaires inquiètent au plus haut niveau le voisin égyptien.

Le Caire craint que cette lutte pour le pouvoir, qui a débuté le 15 avril, se transforme en une longue guerre civile, réduisant le Soudan à un État défaillant. Et le risque de désintégration de ce vaste pays constitue une vraie menace pour la sécurité nationale égyptienne : la position stratégique du Soudan et ses frontières avec l’Érythrée comptent énormément pour l’Égypte et sa sécurité.

Khartoum était également un soutien au Caire après la crise avec Addis-Abeba en raison du barrage Renaissance. La stabilité à Khartoum aidait donc le Caire à mieux s’attaquer à ce dossier.

Craintes égyptiennes d’un scénario libyen

Le pire cauchemar pour le Caire aujourd’hui serait de voir le scénario libyen se répéter au Soudan. Elle est également devant un dilemme : l’accession au pouvoir des forces du général Hemedti pourrait s’opposer à ses intérêts au Soudan, surtout si en présence des soutiens étrangers, régionaux ou internationaux à Hemedti.

L’ancien ministre égyptien des Affaires étrangères, Amr Moussa, a clairement mis en garde contre un tel scénario en affirmant que « certains intérêts arabes pourraient se contredire avec les intérêts égyptiens dans ce conflit soudanais ».

Intérêts contradictoires

L’Égypte trouverait donc son salut avec une armée soudanaise dirigée par un général de l’armée régulière ayant fait des études militaires… comme Abdel Fattah al-Burhan. Une relation personnelle lie également ce dernier à Abdel Fattah al-Sissi : ils ont tous les deux fait leurs études dans la même école militaire au Caire.

Conscient du danger que représente pour lui l’affaiblissement de l’armée au Soudan, le pouvoir au Caire, l’un des garants de l’accord politique cadre de 2019, a essayé d’élargir cet accord aux partis politiques et aux groupes non-signataires. Des réunions ont eu lieu au Caire en 2022 sous l’égide du chef des renseignements… sans grand succès.

L’Égypte, cependant, ne fait pas partie du comité quadripartite pour le Soudan, alors qu’Abou Dhabi en est un membre très influent : Les deux capitales arabes semblent s’opposer désormais sur le dossier soudanais.

Le conflit d’intérêts est bel et bien présent entre les deux pays alliés malgré les apparences. Chacun garde pourtant les contacts avec les deux généraux, les yeux rivés sur l’issue des combats. (rfi.fr)

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