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De Gaulle et l’Afrique. De la France libre aux indépendances

La célébration à Brazzaville du 80e anniversaire du ralliement de l’Afrique équatoriale à la France libre a réveillé le souvenir de toute une époque.

Le visage du général de Gaulle s’affiche partout dans Brazzaville en cette fin de mois d’octobre 2020. Sur des panneaux publicitaires comme sur des pagnes bleu et orange à son effigie. Devant la Maison commune, la basilique Sainte-Anne du Congo ou la gare, de grandes bâches blanches, avec photos d’époque à l’appui, racontent l’histoire de ces lieux et le lien qui les unit au « Grand Charles ». Celui-là même qui, il y a 80 ans, a fait de cette ville du Congo français la capitale de la France libre. À l’époque, le général est seul. Et, même si certains ont répondu à son appel du 18 juin lancé sur les ondes depuis Londres, la France libre est sans territoire. Pour combler ce manque sur le chemin de la libération de la France, Charles de Gaulle sait qu’il lui reste la possibilité de s’appuyer sur l’empire colonial, notamment en Afrique. Alors que l’Afrique-Occidentale française (AOF), avec le gouverneur général Boisson, se refuse de rejoindre la France libre, l’Afrique-Équatoriale française (AEF), sous l’impulsion du gouverneur du Tchad, Félix Éboué, a décidé de se rallier à sa cause.

L’exploitation des ressources et l’enrôlement des hommes de ces territoires – les effectifs des Forces françaises libres vont quintupler, de 7 000 hommes en juillet 1940 à 35 000 fin août – lui permettent d’avoir une assez bonne assise pour organiser la résistance française en Afrique, dans l’empire colonial.

Mais « l’exemple du plus méritoire effort français », selon les propres mots du Général, a-t-il récolté les fruits de ses sacrifices ? Au sortir de la guerre, le général le sait : le système colonial d’avant la guerre ne peut continuer. Il doit être réaménagé. Car partout, déjà, les revendications nationalistes se font entendre. « Aux Antilles, au Sénégal, à Madagascar, dans les comptoirs des Indes ou en Polynésie, c’est la même dynamique qui s’enclenche. Partout, une forte volonté de liberté s’affirme », explique Pascal Blanchard, historien spécialiste de l’empire colonial français. Pourtant, elle ne trouvera satisfaction que 15 ans plus tard, au bout d’un long processus engagé dès 1944.

La conférence de Brazzaville, des avancées en trompe-l’œil ?

En janvier de cette année 1944, l’arrestation du leader indépendantiste marocain Ahmed Balafrej et la répression des manifestations de Rabat-Salé laissent peu d’espoirs aux défenseurs de la liberté. « Très vite, un processus de répression s’engage au Maroc, mais aussi en Algérie, en Syrie, à Madagascar, en Indochine et, dans une moindre mesure, aux Antilles et en AOF et AEF, raconte Pascal Blanchard. Les espoirs de la guerre en commun et du combat pour la libération de la France sont très vite déçus face à la chape de plomb coloniale qui s’abat de nouveau, dès 1944-1945, dans les territoires coloniaux. » Le 30 s’ouvre pourtant au Moyen-Congo la conférence de Brazzaville appelée à définir les orientations futures dans l’empire.

Dans son discours, le général de Gaulle semble avoir pris conscience du changement qui s’opère ainsi que du désir d’émancipation des territoires de l’empire. « En Afrique française […], déclare-t-il dans son discours d’ouverture, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever un peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi », déclara-t-il.

Pour Frédérique Neau-Dufour, historienne spécialiste de Charles de Gaulle, le chef de guerre « pressent bien qu’une évolution de la gestion des colonies est indispensable. C’est un homme qui a une grande culture historique, il sait par définition qu’un peuple opprimé cherchera toujours à se défendre ».

Les conclusions de la conférence, une semaine plus tard, douchent pourtant tous les espoirs, car « les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie », peut-on lire dans le texte. Les participants à l’événement, tous de hauts fonctionnaires blancs à l’exception de Félix Éboué, tuent dans l’œuf les aspirations indépendantistes post-conflit. « Pour les militants les plus aguerris, la déception est immense, souligne Pascal Blanchard. Mais le général de Gaulle prendra assez vite conscience du décalage entre les conclusions de la conférence et les attentes des militants des mouvements nationalistes, notamment en AOF et à Madagascar », ajoute-t-il. Dès juillet 1944, il déclare que « chaque territoire sur lequel flotte le drapeau français doit être représenté à l’intérieur d’un système de forme fédérale […] ». Puis, le 25 octobre 1944, lors d’une conférence de presse reproduite par le journal Combat, il prononce enfin les mots attendus : « La politique française consiste à mener chacun de ces peuples à un développement qui lui permette de s’administrer et, plus tard, de se gouverner lui-même… » C’est là que naît déjà dans l’esprit de De Gaulle l’idée d’un système fédéral, d’une grande communauté de territoires.

De l’Union française…

Celle-ci prendra forme avec l’Union française, en octobre 1946, dix mois après sa démission. Si ses statuts disposent que « la France et ses possessions d’outre-mer forment un ensemble fondé sur l’égalité des droits et des devoirs sans distinction de race ni de religion », la répression des velléités indépendantistes est toujours en marche. Au Cameroun, ancien allié de la France libre de De Gaulle, une véritable chasse à l’homme s’organise sous les ordres du haut-commissaire au Cameroun, Pierre Messmer, ancien de la France libre. Objectif ? Neutraliser les indépendantistes à la tête desquels Ruben Um Nyobè, fondateur de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Les forces françaises y mènent une guérilla, usant des mêmes stratagèmes qu’en Indochine, par exemple avec l’utilisation du napalm. Le 13 septembre 1958, le leader camerounais est abattu par l’armée française, son corps est traîné dans la boue.

… à la Communauté franco-africaine

C’est dans ce contexte que Charles de Gaulle revient aux affaires en 1958. En douze ans, les temps ont bien changé. Malgré la répression, une génération d’hommes politiques locaux a émergé dans les territoires sous administration française. Les députés Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, Lamine Guèye et Léopold Senghor gagnent en popularité. La loi-cadre de Gaston Defferre adoptée en 1956 et qui instaure le suffrage universel dans les colonies nourrit elle aussi les aspirations d’émancipation. Pour contrer le délitement de l’empire qu’on pressent, l’Union française passe le relais à la Communauté le 28 septembre 1958. Onze colonies d’Afrique subsaharienne et Madagascar votent « oui » au référendum qui leur propose d’intégrer cette nouvelle entité « fondée sur l’égalité et la solidarité des peuples qui la composent ». Mais la France n’en abandonne pas pour autant son autorité sur ses colonies : elle en conserve la gestion de la politique étrangère, de la défense, de la monnaie, de la politique économique et financière et de l’enseignement supérieur. Des départements clés.

De la décolonisation sous contrainte…

Les mots du général de Gaulle, prononcés le 24 août 1958 à Brazzaville, livrent pourtant un tout autre discours. « Si quelque territoire, au fur et à mesure des jours, se sent, au bout d’un certain temps que je ne précise pas, en mesure d’exercer toutes les charges, tous les devoirs de l’indépendance, eh bien, il lui appartiendra d’en décider par son Assemblée élue. […] Un accord réglera les conditions de transfert entre ce territoire, qui prendra son indépendance et suivra sa route, et la Communauté elle-même », déclare-t-il. Un double langage qui s’explique par « l’espoir qu’avait de Gaulle de maintenir l’empire », assure Frédérique Neau-Dufour. « Il y a cru mais il ne voulait pas revivre une deuxième Algérie en Afrique noire. En 1958, il sait déjà qu’il ne pourra pas la garder. Il sent le vent de l’histoire tourner, d’autant que la France est, à cette époque, sous le feu des critiques de la communauté internationale pour sa politique coloniale. » « On voit clairement que ce sont les événements qui s’imposent à lui, assure lui aussi Pascal Blanchard. De Gaulle arrive trop tard au pouvoir pour véritablement changer le cours des choses. » Après un peu moins d’un an d’existence, et la proclamation d’indépendance de ses membres – hormis les Comores, Djibouti, La Réunion et l’Algérie –, la Communauté est enterrée.

… à la construction de la Françafrique

S’ouvre alors une autre ère de la coopération franco-africaine. « Quand il crée la Communauté, de Gaulle, pragmatique, est en fait déjà dans l’après, explique l’historienne Frédérique Neau-Dufour. L’intérêt pour la France, pense-t-il, est d’accompagner les colonies vers l’indépendance pour construire une future coopération économique et militaire. » Et « poser les bases de ce qu’on appellera plus tard la Françafrique, mode de gestion de la France en Afrique, jusqu’aux années 1990 », complète Pascal Blanchard. Une stratégie « néocolonialiste » qui fait de l’homme du 18 Juin « un génie politique », indique ainsi Lecas Atondi-Monmondjo, ancien enseignant-chercheur en littérature et civilisations africaines de l’université Marien-Ngouabi, lors du colloque consacré au 80e anniversaire du manifeste de Brazzaville. Après 1960, l’Afrique francophone devient en effet le précarré de la France. Et c’est à Jacques Foccart, un ancien de la France libre, que revient la tâche de s’assurer de cette « nouvelle amitié franco-africaine » qui servira les intérêts de la France aux dépens des populations africaines.

Et maintenant ?

Au regard de leur implication au sein de la France libre, les anciens territoires de l’Afrique française peuvent s’interroger. D’où l’amertume de certains Brazzavillois pour cette période de l’histoire. « C’est important de parler du rôle du Congo dans la France libre, ça fait partie de nous. Mais on n’en a pas beaucoup bénéficié par la suite. Regardez à quoi ressemble la ville, déplore Prosper, retraité de 63 ans, en pointant du doigt un bâtiment abîmé du quartier de Bacongo. Aujourd’hui, je suis fatigué du bleu-blanc-rouge. J’aimerais qu’on nous parle plus de nos hommes politiques à nous. À chaque coin de rue de Brazzaville ou presque, on trouve un panneau, une stèle au nom de De Gaulle. Et aucun hommage à l’abbé Fulbert Youlou, le père de l’indépendance du Congo. »

Un constat partagé par Christian*, étudiant en gestion. « On parle beaucoup du général de Gaulle jusqu’au lycée. C’est normal. Mais il prend parfois un peu trop de place, au détriment d’autres personnages historiques de l’Afrique. » Pour Patrice-Jean, policier à la retraite, cette période de l’histoire a une incidence plus personnelle. Son père, ancien combattant de l’AEF, a servi en Indochine. « Il a eu plein de médailles et a risqué sa vie pour la France. Et moi, quand je demande un visa pour la France à l’ambassade, on me le refuse. » « Les affiches, les conférences, tout ça, c’est bien, mais ce qui serait mieux, ce serait de vraiment impliquer les jeunes et d’alimenter le débat sur cette époque », indique Joseph, 68 ans. Pour que la mémoire de ces événements soit partagée par tous. (LePoint)

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