Les militaires au centre du jeu, un diplomate comme Premier ministre, des portefeuilles aux figures de la contestation et aux ex-rebelles… Le gouvernement de transition est le reflet des rapports de forces politiques à Bamako.
Tout le monde est servi. Et comme le veut la tradition malienne, personne n’a été laissé de côté. Le gouvernement de transition, annoncé dans la soirée de lundi, dit beaucoup des équilibres de la scène politique nationale après le coup d’Etat qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août. Le Premier ministre, Moctar Ouane, est un diplomate de carrière. Un homme du sérail, certes, mais éloigné du marigot politique bamakois.
A 64 ans, il a été rappelé de Ouagadougou, où il occupait le poste de délégué général à la paix et à la sécurité de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) depuis 2016, après avoir servi trois présidents. Il fut conseiller diplomatique de Moussa Traoré dans les années 90, représentant du Mali à l’ONU sous Alpha Oumar Konaré, puis ministre des Affaires étrangères d’Amadou Toumani Touré.
Natif de Bidi, dans le centre du pays aujourd’hui déchiré par des conflits intercommunautaires, il est décrit par l’un de ses interlocuteurs réguliers comme un technicien «intelligent, très calme» et bon connaisseur des dossiers sécuritaires du Sahel.
Moctar Ouane est surtout un civil, comme l’exigeait la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). L’organisation sous-régionale en avait fait une condition de la levée des sanctions imposées au Mali au lendemain du putsch. Une semaine plus tôt, le choix du président de la transition, Bah Ndaw, un militaire à la retraite, avait été validé du bout des lèvres par la Cédéao, surtout inquiète du pouvoir confié à son vice-président, le colonel Assimi Goïta, chef de la junte aux manettes depuis la chute d’«IBK». Pour apaiser ses craintes, une prérogative majeure du vice-président a été supprimée : le remplacement du chef de l’Etat en cas d’empêchement de ce dernier.
Part du gâteau
Malgré cette concession de taille, le quintet de colonels du Conseil national de salut du peuple (CSNP, le nom officiel de la junte) ne compte pas encore rentrer dans ses casernes. Outre le poste de vice-président attribué à Assimi Goïta, les putschistes ont mis la main sur trois gros portefeuilles : Sadio Camara est nommé ministre de la Défense, Modibo Koné ministre de la Sécurité, Ismaël Wagué ministre de la Réconciliation nationale. Un quatrième militaire, le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga, hérite du ministère de l’Administration territoriale. De quoi verrouiller les décisions sécuritaires et s’assurer de relais fiables en région.
Trois postes ont par ailleurs été distribués à des personnalités considérées comme proches du Mouvement du 5-juin, la contestation qui a fait vaciller le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta cet été. Depuis le coup d’Etat, ses animateurs réclamaient bruyamment leur part du gâteau, se rêvant en co-gestionnaires de la transition aux côtés des militaires. Ils obtiennent les ministères de la Communication, de l’Emploi, et de la Refondation de l’Etat.
Relance du processus de paix ?
Enfin, les mouvements armés signataires de l’accord de paix d’Alger (2015) sont aussi largement représentés dans l’équipe de Moctar Ouane. Harouna Toureh, fondateur de la Plateforme, une alliance de milices progouvernementales, devient ministre du Travail et porte-parole du gouvernement, tandis que Moussa Ag Attaher, ex-porte-parole des séparatistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), obtient le ministère de la Jeunesse et des Sports.
Les ex-rebelles se voient aussi offrir les portefeuilles de l’Agriculture et de l’Elevage, et celui des Maliens de l’extérieur. Une façon de se concilier des acteurs puissants, sans qui la «reconquête» du nord du pays est illusoire. Le processus de paix, au point mort, pourrait ainsi être relancé, à la grande satisfaction des Nations unies et de la France, lourdement engagés au Sahel, avec respectivement 12 000 et 5 000 soldats déployés sur le terrain.
Quelques heures après la formation du nouveau gouvernement, la Cédéao a annoncé l’abandon des sanctions économiques qui pesaient sur le Mali, demandant encore «la libération de tous les officiels civils et militaires arrêtés depuis le 18 août et la dissolution du CNSP». Ce mardi, cependant, c’est la rumeur d’une autre libération qui électrise tout Bamako. Celle, présentée comme imminente, de Soumaïla Cissé, le chef de l’opposition détenu depuis six mois par les jihadistes, et de Sophie Pétronin, kidnappée il y a quatre ans. Si la transition commence véritablement ce jour-là, elle débute sous de bons auspices. (Libération)