Accueil ALERTE Les murs frontaliers se multiplient à travers le monde

Les murs frontaliers se multiplient à travers le monde

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Le monde a plus de murs frontaliers que jamais, affirme un rapport co-rédigé par trois centres de recherche européens indépendants. La tendance contemporaine serait même à « l’emmurement du monde », selon Damien Simonneau, chercheur au Collège de France et auteur de L’Obsession du mur.

De six en 1989, nous sommes passés à près de 63 murs physiques aujourd’hui, selon un rapport de novembre 2020, co-rédigé par le think-tank néerlandais Transnational Institute, le Centre Delàs d’Estudis per la Pau de Barcelone et le groupe allemand Stop Wapenhandel.

Ces deux dernières décennies ont même été particulièrement prolixes en murs et autres clôtures électrifiées. Mais alors que le Mur de Berlin avait pour vocation d’empêcher les habitants du bloc de l’Est de fuir, ces nouveaux murs servent davantage à en empêcher d’autres d’entrer. 

« Murer et militariser sa frontière est devenu très commun, explique Damien Simonneau, chercheur au Collège de France et auteur de L’Obsession du mur. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la frontière est associée à une idée de sécurité et de contrôle, ce qui n’était pas le cas auparavant. »

Près de 60% de la population mondiale vit dans un pays ayant muré ses frontières, le plus souvent pour lutter contre le terrorisme, la contrebande ou l’immigration non autorisée.

Murs anti-migrants

L’Union européenne n’est pas en reste. A contrario de l’image d’ouverture véhiculée par la libre circulation permise par les accords de Schengen, 1 000 kilomètres de murs ont été construits le long de ses frontières durant ces vingt dernières années, principalement pour lutter contre l’immigration non autorisée.

« L’érection de murs met en scène un État fort qui contrôle ses frontières et son territoire, estime Damien Simonneau. Cela vise avant tout à répondre aux angoisses des citoyens et à faire fructifier certains acteurs politiques. » 

Le mur construit en 2015 par Viktor Orbàn sur la frontière entre la Hongrie et la Serbie étend sur 175 kilomètres ses barbelés de quatre mètres de haut. Conçu pour « préserver les racines chrétiennes » de la Hongrie contre un péril migratoire réel ou supposé, il a inspiré l’Autriche, la Slovénie et la Macédoine, qui ont fait de même à leurs frontières. La Bulgarie a, elle aussi, dressé près de 176 kilomètres de clôture barbelée le long de sa frontière avec la Turquie, principal point d’entrée terrestre des migrants en Europe.

Pourtant, selon Damien Simonneau, « l’érection de murs contre l’immigration s’inscrit davantage dans des spectacles politiques que dans l’enjeu de contrôler les mobilités. Plutôt que de réduire les migrations, la construction d’un mur amène surtout à les déplacer. »

Compliqué en effet d’estimer l’impact réel de ces murs sur l’immigration non autorisée. Privés de voies d’accès terrestres, les migrants prennent dorénavant la mer pour atteindre l’Europe, avec les effets dramatiques que l’on connaît. Aux États-Unis, la fermeture de la frontière avec le Mexique a poussé les Sud-Américains vers les zones désertiques de l’Arizona, rendant le parcours migratoire plus dangereux et plus mortel, mais pas nécessairement plus rare. 

Les images des migrants escaladant les barbelés de Ceuta et Melilla, les enclaves espagnoles au nord du Maroc, marquent ainsi par leur violence et par leur répétition. « Les murs sont des réponses de court-terme, des placebos, ajoute Damien Simonneau. Ils ne résolvent pas les causes politiques qui poussent à la migration, au terrorisme ou à la contrebande, mais se contentent simplement de les repousser. »

L’érection de murs pourrait aussi créer davantage de violence, favorisant parfois des comportements en contradiction avec le droit national et international. En mars 2020, des policiers grecs ont ainsi tiré sur des migrants qui franchissaient la frontière avec la Turquie. Un acte choquant sur une frontière d’ordinaire pacifiée, où il n’est pas d’usage de tirer.

Des murs en héritage de conflits enlisés

D’autres murs sont construits sur des zones de conflit. Érigés pour limiter les mobilités et séparer les belligérants, ils témoignent pour la plupart de « l’enlisement » de la situation, selon Damien Simonneau.

À Chypre comme à Belfast, en Irlande du Nord, ils ont survécu au conflit armé, éteint depuis des dizaines d’années. Ils marquent alors, selon le chercheur, le « gel des tensions et l’absence d’un processus diplomatique », pouvant aboutir à une solution plus pérenne entre les deux parties.

Idem pour la frontière démilitarisée qui sépare depuis 1953 la Corée du Sud de la Corée du Nord, ou pour le mur de sable fortifié de 2 700 kilomètres entre le Maroc et les zones contrôlées par la République arabe sahraouie démocratique, proclamée en 1976 par le Front Polisario.

Au-delà de l’essoufflement des rapports de force, les murs sur les zones de conflit peuvent également témoigner du caractère inachevé d’une conquête, bloquée pour des raisons militaires ou diplomatiques.

En Géorgie, la Russie et les autorités de facto tentent ainsi d’établir depuis la fin du conflit de 2008 une frontière physique entre les territoires séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et le reste du pays. La construction de clôtures barbelées « instaure, selon Damien Simonneau, une zone de cesser le feu, tout en inscrivant la présence de la Russie sur le territoire. »

De la même façon, si le mur érigé en 2002 par Israël le long de « la ligne verte » en Cirsjordanie était au départ conçu pour lutter contre les attaques terroristes dans le contexte de la Seconde Intifada, il a depuis, selon le chercheur, changé de fonction.

« Le mur a été pensé par certains acteurs israéliens comme une politique d’annexion de pans de la Cirsjordanie occupée, affirme-t-il, et comme un moyen de contrôle des populations palestiniennes, sur lesquelles il prolonge la main-mise de l’État israélien. »

Condamné depuis 2004 par la Cour de justice internationale, le mur de béton de neuf mètres de haut se trouve en effet à 85% en Cisjordanie et isole presque 10% du Territoire palestinien. Toujours en construction, l’ouvrage doit à terme atteindre 712 kilomètres de long.

La construction de murs semble donc un commerce d’avenir. En 2009, la militarisation de la frontière entre l’Arabie Saoudite et l’Irak s’était révélée un juteux contrat pour l’entreprise franco-allemande EADS. En 2018, un rapport du Transnational Institute évaluait ainsi le marché international de la sécurité aux frontières à 17,5 milliards d’euros et lui prédisait une croissance d’au moins 8% dans les années à venir. Annoncé en février dernier, le projet d’un nouveau mur entre Haïti et la République Dominicaine est loin de le contredire. (Rfi)

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