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Biden – Poutine : la haine froide

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Entre le président américain Joe Biden et son homologue russe, Vladimir Poutine, l’hostilité dépasse ce qui est dû à la fonction.

Moscou, 10 mars 2011. Joe Biden , alors vice-président des États-Unis, rend visite à Vladimir Poutine , Premier ministre de Russie. C’est la première fois qu’il l’a face à lui, en tête à tête. L’occasion de jauger le personnage et de lui dire ce qu’il pense. Pendant l’entretien, il lui déconseille de briguer un troisième mandat de président de Russie, ce qu’il a été de 2000 à 2008. « Ce ne serait pas bon pour vous ni pour la Russie », argumente-t-il. Mais Poutine n’est pas disposé à recevoir une leçon de démocratie… Il se renfrogne. Entre les deux hommes, un dialogue de sourds s’instaure ; les piques fusent. « Vous vous imaginez peut-être que vous et moi avons la même façon de penser parce que nous avons la même couleur de peau. Mais ce n’est pas le cas », lâche le leader russe. « Monsieur le Premier ministre, je vous regarde droit dans les yeux et je ne pense pas que vous ayez une âme », lui lance Biden. « Vous et moi, nous nous comprenons », plaisante Poutine dans un sourire. Quand il raconte la scène aujourd’hui, Biden est encore sidéré.

Aux yeux du Russe, tout locataire du bureau Ovale n’est qu’un interlocuteur de passage. Depuis qu’il est au pouvoir, il en a connu cinq. Et comme il a fait modifier la Constitution russe pour rester président jusqu’en 2036, il a de bonnes chances d’en connaître encore quelques autres… Mais entre les deux hommes l’hostilité dépasse ce qui est dû à la fonction.

Depuis que Poutine a envoyé 130 000 soldats aux portes de l’Ukraine, le président américain, d’habitude critiqué pour sa mollesse, est déchaîné. Alors qu’on temporise en Europe face aux ambitions hégémoniques du président russe, Biden agite la menace des sanctions économiques et n’y va pas de main morte. Selon une loi qui devrait être votée cette semaine par le Sénat américain, il s’agirait de bloquer l’économie russe en lui interdisant l’accès au réseau Swift, par lequel passent toutes ses transactions bancaires internationales. Grosse exportatrice de matières premières, la Russie serait ainsi dans l’impossibilité de se faire payer ! Ce serait aussi un coup dur pour les oligarques du pays, à commencer par Poutine lui-même dont la fortune, selon certaines estimations, s’élèverait à plusieurs milliards de dollars. À la Maison-Blanche, on parle ainsi de sanctions qui visent « personnellement » le maître de Moscou, que Biden qualifiait de « meurtrier » l’an dernier à la télévision.

Pourquoi tant de haine ? En 2014, après l’entrée des tanks russes sur le sol ukrainien, le vice-président Biden avait plaidé en vain pour une riposte musclée. Barack Obama avait dit non, arbitrant en faveur de sa conseillère pour la sécurité nationale, Susan Rice, qui poussait à l’apaisement. Mais Biden avait eu un lot de consolation : il s’était retrouvé émissaire officiel à Kiev, un job pour lequel il allait se prendre de passion. Aujourd’hui, il se considère comme un ami de l’Ukraine, où il s’est rendu six fois dans sa vie, soit davantage que tous ses prédécesseurs. Dans ses Mémoires, « Promets-moi, papa », en 2017, il consacre de nombreuses pages à ce pays qui a « conquis son indépendance de haute lutte, comme l’Amérique il y a plus de deux cents ans ». Adolescent, explique-t-il, il voulait « faire le bien dans le monde et changer le cours de l’Histoire », et l’Ukraine lui en aurait donné l’occasion.

Biden est un ami de l’Ukraine, «qui a conquis son indépendance de haute lutte, comme l’Amérique»

Joe Biden n’a pas non plus oublié que la Russie avait joué contre lui pendant la campagne présidentielle de 2020. Et qu’elle avait utilisé pour cela la situation de Hunter Biden en Ukraine. Donald Trump, informé par des sources prorusses, accusait « Monsieur fils » d’avoir été payé à ne rien faire par Burisma, une entreprise énergétique locale dont il était administrateur, et faisait pression sur les autorités locales pour qu’elles lancent une enquête judiciaire. Si le président ukrainien avait cédé, le scandale aurait été immédiat. Biden aurait pu perdre l’élection…

Le soutien à l’Ukraine serait-il désormais un devoir sacré ? « On aurait tort de donner trop d’importance à ces considérations personnelles », tempère Mark Medish, ancien de l’administration Clinton et expert de la région. « Comme tous les présidents, il veut laisser une marque derrière lui. Pour certains chefs d’État ou de gouvernement, c’est l’éducation, l’environnement, la réforme de santé. Joe Biden, lui, se vit comme le président des affaires étrangères : c’est dans son ADN. Je sais qu’il voit l’Ukraine comme n’importe quel autre pays : c’est une question de conflit géopolitique. Et la seule chose qui compte dans son esprit, c’est l’intérêt des États-Unis. » Et le sien, aussi : dans cette Amérique bloquée et partisane où rien ne semble envisageable, il démontre qu’il est encore possible de provoquer l’union sacrée en ralliant les républicains à son panache face à l’ogre Poutine. Les élections législatives de novembre prochain (midterms) s’annoncent difficiles… Il est urgent de chercher aussi de quoi, peut-être, limiter la casse. (Paris Match)

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