À mesure que les jours passent, l’écart se creuse entre le pouvoir d’achat des Burkinabè et les prix de certains produits de grande consommation qui connaissent une flambée. Comme les céréales, les produits maraîchers, l’huile ou encore la viande. Cela dure depuis maintenant des mois, disons même des années. Les raisons ? Essentiellement, deux facteurs sont pointés du doigt : l’insécurité qui frappe durement le pays et qui limite les possibilités d’activités économiques dans certaines régions et la crise sanitaire due au Covid-19 avec une fermeture des frontières qui a longtemps entravé le flux du commerce. Et comme pour ne rien arranger, la guerre en Ukraine d’où provient une part importante de la farine de blé, une autre denrée essentielle a accéléré la hausse des prix. À quand le bout du tunnel ? Comment les nouvelles autorités abordent-elles ces défis ? Éléments de réponses dans les rues du pays.
Une hausse rarement observée
De mémoire de Burkinabè, on ne se souvient plus avoir assisté à pareille envolée des prix de certaines denrées alimentaires de grande consommation. Par exemple, un « yorba » de petit mil, entendez l’appellation locale courante d’une mesure de trois kilogrammes, se vend à 900 F CFA (1,22 ?). La même quantité de maïs à 750 F tandis que le litre d’huile végétale ne se trouve pas à moins de 1 100 F.
Issaka Ouédraogo, commerçant, évoque une hausse inédite du coût des céréales. © DRLa soixantaine révolue, Issaka Ouédraogo peut confirmer cette hausse inédite. Depuis près de 30 ans, il n’a pas connu autre activité que la vente des céréales. Son magasin de fortune, implanté à Nabiyaré, un petit marché du centre de Ouagadougou, a ainsi vu grimper les coûts d’année en année. « L’an passé, à cette même période, c’est-à-dire au mois de mars, le yorba de maïs s’achetait entre 450 et 500 F CFA. Le mil, lui, coûtait 50 ou 100 F de plus », se souvient ce commerçant, avec une mine visiblement lassée par plusieurs décennies de routine. « Il y a seulement trois ou quatre ans, les tarifs étaient encore moins exorbitants », souligne-t-il.
L’insécurité comme première cause
À qui la faute ? Pour Issaka Ouédraogo, la réponse est évidente : « Cette flambée est principalement consécutive aux attaques djihadistes qui ciblent certaines parties du pays, dont des zones agricoles. La grande partie des céréales vendues dans les villes provient par exemple de la Boucle du Mouhoun (nord-ouest du pays, NDLR), considérée comme le grenier du Burkina, mais pourtant réputée être une zone en proie aux attaques armées », explique-t-il.
Des agriculteurs trient du coton près de Boromo au Burkina Faso le 19 octobre 2021. © ISSOUF SANOGO / AFP
Producteur de coton dans cette zone, Célestin Gala est plus précis : « Des agriculteurs, petits comme grands, n’ont pas pu avoir accès à leurs champs du fait de l’insécurité. Quand certains ont pu produire, ils n’ont pas pour autant été en mesure de récolter à cause des menaces terroristes », égrène, en guise de difficultés, celui qui a récemment été porté à tête du secrétariat général de l’Union nationale des producteurs de coton (UNPCB).
Moins de terres cultivables
Dans l’Est et bien d’autres parties du pays, l’agriculture a connu des difficultés en raison de l’hydre terroriste avec à la clé une baisse drastique de la production, mais le secteur souffrait déjà d’une rareté des pluies qu’entraîne le changement climatique. Les données du ministère de l’Agriculture sur les dernières saisons ne sont pas moins saisissantes. Déjà au terme de la saison 2019-2020, une chute de la production céréalière avait été observée : un peu moins de 5 millions de tonnes produites, soit une baisse de 4,9 % par rapport à la campagne précédente. Et même si la campagne de 2020-2021 a permis de redresser la pente, avec 5,1 millions de tonnes récoltées, cela reste insuffisant : « les superficies céréalières emblavées ont connu une régression de près de 4 % » du fait de l’insécurité, note le ministère de l’Agriculture. Puis, le secteur a connu une nouvelle chute de 9 % de la production lors de la saison 2021-2022, soit seulement 4,7 millions de tonnes.
Des marchands de fruits et légumes sur un marché de marché de Ouagadougou, la capitale burkinabè. © SIA KAMBOU / AFP
À l’instar de l’agriculture, les autres secteurs d’activité (élevage, commerce, etc.) sont également éprouvés. Et l’effet est implacable : une offre loin de satisfaire la demande d’une population qui croît pourtant au rythme moyen de plus de 3 % l’année. « Habituellement, les consommateurs se tournent vers les produits importés pour remédier à l’insuffisance de la production nationale », selon le commerçant Issaka Ouédraogo. Mais cela ne constitue plus une meilleure option. D’autant plus que les produits importés ont, eux aussi, pris l’ascenseur. Au cours des derniers mois, le prix du sac de 50 kg de riz a connu plusieurs hausses. Il s’acquiert maintenant à plus de 20 000 F CFA.
Le Covid-19, un autre facteur
Au-delà de cette insuffisance de la production nationale qui aurait pu amortir les prix, l’inflation tire aussi ses racines de la pandémie de Covid-19 qui « a désorganisé les chaînes de production et de transports au niveau mondial », comme le souligne un rapport interne du ministère du Commerce burkinabè, produit en fin février dernier. « Après des mois de paralysie, le trafic maritime à l’échelle internationale a subi les conséquences d’une reprise croissante de l’activité. Cela s’est soldé par la rareté des conteneurs, la surcharge des bateaux et la flambée des coûts du fret qui a ainsi connu une hausse vertigineuse en passant de 800 dollars US en mars 2019 à 6 500 USD en août 2021 pour les routes maritimes Asie/Europe/USA/Afrique », détaille plus loin ce rapport.
Le Burkina Faso est une terre d’agriculteurs. © SIMONE BERGAMASCHI / NurPhoto / NurPhoto via AFPÀ cela, il faut ajouter « une augmentation de la demande de transport par conteneur en raison de l’accroissement des flux commerciaux maritimes tenant du fait de l’assouplissement des mesures de confinement et de la mise en route des plans de relance nationaux aux quatre coins du monde ». Sans oublier « la pénurie de matières premières liée à une explosion de la très forte demande des grands pays producteurs, ce qui a pour conséquence les augmentations des prix fournisseurs ainsi que la longueur des délais de livraison ». Et pire, « la guerre en Ukraine est venue alourdir l’impact sur les coûts de certains produits importés, comme le blé et les produits dérivés », commente un agent du département du Commerce sous le couvert de l’anonymat.
Les nouvelles autorités interpellées
Cette situation d’inflation ne laisse pas indifférents les organismes de défense des intérêts des consommateurs. À l’occasion de la Journée mondiale des consommateurs, un regroupement de consommateurs a donné de la voix mardi 15 mars, à Ouagadougou, au détour d’une conférence de presse. Après s’être indignée d’une hausse générale de 40 % des tarifs de produits de grande consommation (PGC), le Réseau des consommateurs du Faso (RENCOF), avec à sa tête, Adama Bayala, s’en est remis aux nouvelles autorités, les interpellant sur la nécessité de mesures appropriées et urgentes. Et de recommander, entre autres, le gel et le plafonnement des prix.
Au même titre que la lutte contre les groupes armés qui continuent de signer plusieurs attaques terroristes à travers le pays, la question de la cherté de la vie semble justement prise à bras-le-corps par les autorités issues du coup d’État du 24 janvier perpétré contre Roch Marc Kaboré. Au ministère du Commerce notamment, on se félicite d’une batterie de solutions, allant de la suspension la délivrance des autorisations spéciales d’exportation (ASE) des céréales locales ? afin d’éviter leurs sorties du territoire national ? à « une surveillance accrue du marché », en passant par « l’approvisionnement des 391 points de vente de céréales à des prix subventionnés à travers le territoire ». Toutefois, ces mesures attendent de produire un effet efficace dans la pratique. Les spéculations poursuivent bon train. (Le Point)